La fédération d’associations d’internautes refuse de voir les prestataires techniques, comme les hébergeurs, devenir les « juges et censeurs » de l’internet. Et compte faire entendre ses arguments jusqu’au président de la République et au Premier ministre.
La résistance s’organise contre le projet de loi pour « la confiance dans l’économie numérique ». Et plus particulièrement sur les dispositions relatives à la responsabilité civile et pénale des hébergeurs de contenu sur l’internet.
Le projet présenté par Nicole Fontaine, ministre déléguée à l’Industrie, affirme que ces prestataires techniques pourront être tenus responsables s’ils n’ont pas coupé l’accès à des données «dès qu’ils ont eu la connaissance effective de leur caractère illicite» (lire le projet de loi– document PDF).
La ligue Odebi, qui regroupe les associations françaises d’utilisateurs de services Internet à haut débit, a lancé le 22 janvier une nouvelle campagne pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur les problèmes soulevés par la formulation du texte. «Les articles 43-8 et 43-9 imposent aux intermédiaires techniques de jouer un rôle de juge, de censeur et de justiciable», s’insurge Pascal Cohet, président de Luccas (association de défense des abonnés de Noos) et porte parole de la ligue Odebi.
«Nécessité de cartographier les métiers de chacun»
La campagne de l’association reprend l’idée des «journées sans forums», organisées au printemps dernier pour protester contre les condamnations pour diffamation de plusieurs webmasters offrant des espaces de discussions sur leur site. «Mais comme cette fois-ci nous prévoyons que le combat sera long, nous n’avons pas fixé de date de fin», explique le porte-parole.
«Et pour ne pas léser les opérateurs de forums, nous leur demandons de mettre un pop-up sur leur site, qui mènera vers une pétition en ligne». Intitulée « Non au projet de loi sur l’économie numérique », elle est adressée au président de la République et au Premier ministre. Elle demande la «modification des articles 43-8 et 43-9 du projet de loi (…) afin de permettre à tout citoyen l’accès à une justice indépendante et impartiale».
«Nous voulons que la loi définisse clairement les intermédiaires techniques, [comme étant] tout acteur qui n’est pas l’auteur direct d’un contenu « uploadé » sur l’Internet», précise Pascal Cohet.
«Il n’y aura de clarification juridique pour les non-initiés que lorsque les acteurs du Web pourront ensemble cartographier les métiers de chacun en permettant ainsi un découpage des différents seuils de responsabilité», explique à ZDNet Jean-Claude Patin, responsable du site juridique Juritel. «Pour l’heure, le flou artistique perdure et les textes produits restent très vagues.»
L’avant-projet de loi va dans le sens de la jurisprudence
Pourtant, le juriste ne se prive pas de remettre en cause l’interprétation qu’a fait la grande majorité des acteurs du secteur du projet de loi Fontaine. «Il n’y a pas de retour à l’amendement Bloche (…), il y a seulement prise en considération de la réalité juridique du Web», martèle-t-il. Selon ses arguments, en analysant la jurisprudence rendue depuis 5 ans, on constate que les juges ont déterminé la responsabilité des hébergeurs «en recherchant si le caractère délictueux des contenus était manifeste». Et également, si par une «surveillance très légère», l’hébergeur ne pouvait pas «repérer instantanément le caractère illicite».
«C’est assez peu attentatoire « aux libertés individuelles »», affirme Jean-Claude Patin, «et contrairement à ce que beaucoup disent, la détermination du caractère illicite est tout de même très souvent facile à opérer».
Une vision que ne partage absolument pas Odebi: «En prétendant conférer à des intermédiaires techniques la capacité à être juge de l’illicite, le projet de loi nie purement et simplement le rôle de la justice française [en matière de liberté d’expression]», souligne son communiqué.
Odebi affirme être en train de rassembler un maximum de soutiens officiels pour cette opération, afin «de montrer au gouvernement que la quasi-totalité des acteurs de l’internet sont contre ce projet». Reporters sans Frontières et la Fédération informatique et libertés se sont déjà associés à cette campagne.
[source – ZDNet.fr]