Si le mystère demeure sur les causes de l’accident de la navette américaine, l’hypothèse d’un endommagement de l’aile gauche semble être la plus plausible. Même si la cause du drame était bien un incident au décollage, la NASA n’aurait rien pu faire pour les astronautes pendant la mission.
La NASA aurait-elle pu intervenir avant l’issue fatale du vol STS-107 de la navette Columbia ? Les premiers indices recueillis conduisent à penser que seule une annulation de la mission au cours des six premières minutes aurait pu sauver les astronautes.
Seulement 81 secondes après le décollage de Columbia, le 16 janvier, un panneau de mousse isolante de 51 cm pesant environ 1 kg s’est détaché du réservoir externe utilisé lors du lancement et a heurté l’aile gauche de la navette américaine.
Cette première alerte a été suivie, 24 heures après le départ, de l’observation par un radar militaire d’un objet s’éloignant rapidement du vaisseau spatial. Peut-être un bloc de glace issu du système d’évacuation d’eau de la cabine, qui aurait pu entrer en collision avec la même aile gauche. Ainsi, dès le début de la mission STS-107, deux incidents ont concerné cette partie précise de la navette qui se trouve aujourd’hui au centre des investigations de la NASA.
La fin tragique du vol confirme le rôle joué par l’aile gauche. Les images prises par un télescope militaire au sol, 60 secondes avant la désintégration de Columbia, le 1er février, semblent montrer qu’une détérioration sur l’aile gauche provoque une perturbation du flux d’air au niveau du bord d’attaque ainsi qu’une traînée à l’arrière de l’aile.
Un phénomène cohérent avec les données transmises au sol par la navette dans les dernières secondes précédant le drame. Outre la perte des capteurs de température de l’aile gauche, les moteurs de correction de trajectoire de l’aile droite tentaient en effet de compenser la déviation induite par la perturbation. Si l’enquête confirme que l’aile gauche, dont un fragment de 60 cm a été retrouvé au sol, a joué un rôle déterminant dans la désintégration de la navette, l’analyse du drame renvoie aux décisions prises par la NASA pendant la mission.
En effet, le choc provoqué par le morceau de mousse au moment du décollage a été détecté aussitôt. Le 18 janvier, l’équipe de direction de la mission STS-107 remettait ses premières conclusions sur les conséquences de l’incident : « Il apparaît que le choc s’est produit sur ou relativement près de la jonction entre le bord d’attaque de l’aile et le fuselage ». Soit une zone qui semble correspondre à celle qui est endommagée sur les images prises par le télescope militaire juste avant la désintégration.
SEIZE JOURS DE RÉFLEXION
Face aux résultats de ces études, la NASA aurait pu décider certaines mesures d’inspection ou de précaution visant à protéger l’équipage. Or il apparaît qu’en pratique les astronautes n’avaient pas de moyens d’intervention. Cette situation découle de la philosophie de l’agence américaine en matière de sécurité. Contrairement à l’accident de Challenger en 1986, le premier incident qu’a rencontré Columbia lors cette mission a laissé 16 jours de réflexion à la NASA. Bien qu’alertée, l’agence spatiale s’est trouvée impuissante, comme le confirmait, le jour même du drame, le directeur du programme navette.
« Nous n’avons pas de recours en cas de perte de tuiles du bouclier thermique, indiquait alors Ron Dittermore. La seule action efficace est d’empêcher la perte de ces tuiles, grâce à leur conception et à des tests ». Pourtant, le bouclier thermique focalise l’attention de la NASA depuis longtemps. En 1990, l’agence spatiale américaine a commandé un rapport sur les risques liés à ses tuiles. « C’était le système qui inquiétait le plus les astronautes », souligne Elisabeth Paté-Cornell, professeur à l’université Stanford et coauteur du rapport. « Nous avions eu accès aux résultats des impacts relevés après chaque vol sur le bouclier thermique, et nous nous sommes aperçus qu’il y en avait plus sous l’aile droite que sous l’aile gauche, poursuit-elle. Ces impacts venaient de l’isolant du réservoir externe, qui se décollait ».
Au cours de la mission de Columbia, la NASA a d’ailleurs demandé à Boeing d’effectuer une simulation de l’impact du morceau d’isolant sur l’aile. Les résultats ont indiqué que le retour de Columbia ne comportait pas de risques excessifs. Mais, en tout état de cause, rien n’aurait pu être tenté dans l’hypothèse inverse.
Seule une précaution semble avoir été négligée par les responsables de la mission : une technique de rentrée dans l’atmosphère consistant à pencher légèrement la navette sur une aile pour protéger de la chaleur les parties vulnérables.
« Il n’y avait pas grand-chose à faire, estime Philippe Perrin, astronaute français qui a volé en juin 2002 sur la navette Endeavour. La philosophie de la navette, c’est d’être un véhicule très robuste. Il n’y a donc pas de secours prévu ». Jean-Loup Chrétien, ancien astronaute, pense, pour sa part, « qu’il n’y aura plus de vol autonome de la navette, à l’exception de ceux vers le télescope Hubble. De nombreux spécialistes planchent sans doute déjà sur les mesures à prendre si une navette arrimée à l’ISS se trouvait en difficulté : réparation, mise en veille prolongée, recours à une autre navette, un Soyouz ou un Progress ».
Un ingénieur de la NASA avait prédit le pire
Deux jours avant le retour de Columbia, un ingénieur de la NASA avait averti un responsable de United Space Alliance – un sous-traitant de la NASA – des possibilités de surchauffe du train d’atterrissage lors de la rentrée dans l’atmosphère. Selon lui, le débris susceptible d’avoir endommagé l’aile gauche aurait pu abîmer la trappe du train d’atterrissage, qui, pendant la rentrée dans l’atmosphère, aurait pu subir un échauffement préoccupant. Dans un courriel du 30 janvier, rendu public par la NASA le 13 février, Robert Daugherty exposait 7 scénarios, dont l’explosion des pneus qui aurait pu, selon lui, provoquer la mise à feu des charges explosives du train d’atterrissage chargées d’expulser les portes du train en cas d’incident. Répondant à M. Daugherty, David Lechner, un des responsables de la maintenance de la navette, espérait que l’analyse de l’impact des débris au décollage était correcte et que « cette discussion -était- sans objet ».
[source – lemonde.fr]