Sécurité : les nouveaux interdits de la loi Sarkozy

La loi sur la sécurité intérieure, défendue par le ministre de l’intérieur, devait être définitivement adoptée par les sénateurs, jeudi 13 février, après son vote, mercredi soir, par les députés UMP et UDF. Les socialistes veulent saisir le Conseil constitutionnel sur plusieurs dispositions.

Le ministre de l’intérieur n’a jamais cherché à masquer ses intentions : « Faire régner en France un sentiment de sécurité. » L’atteinte d’un objectif qui est donc d’abord psychologique supposait l’élaboration d’un important arsenal répressif. C’est ce que traduit le contenu du projet de loi de Nicolas Sarkozy sur la sécurité intérieure, tel qu’il devait être définitivement adopté, jeudi 13 février dans l’après-midi, au Sénat. Trois mois et demi après sa présentation au conseil des ministres, le 23 octobre 2002, le texte, initialement constitué de 57 articles, en comprend près de 150 – dont la plupart instituent de nouvelles infractions punissables.

Au gré des examens successifs, député et sénateurs ont, de fait, ajouté au projet de M. Sarkozy de nombreuses dispositions renforçant sa tonalité répressive. Le gouvernement lui-même s’est parfois joint à eux – créant, par exemple, de nouveaux délits pour sanctionner les hooligans jusqu’en dehors des stades ou le fameux « outrage » à l’hymne national. A l’issue des débats parlementaires, le projet pérennise aussi l’extension de certains pouvoirs dévolus à la police – et aux agents de sécurité privée – qui avaient été provisoirement instaurés sous le gouvernement de Lionel Jospin, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.

Mercredi soir 12 février, les députés ont adopté, à main levée, les conclusions de la commission mixte paritaire (composée de sept députés et de sept sénateurs chargés de trancher les désaccords ponctuels entre les deux assemblées après les examens du texte en première lecture). Les représentants de l’UMP et de l’UDF ont voté pour le texte. Seuls les députés PS, PCF et Verts ont voté contre.

« On peut être fidèle à ses engagements électoraux sans jamais transiger avec les valeurs républicaines », a déclaré, mercredi, M. Sarkozy. Défendant en vain une motion de procédure, Bruno Le Roux (PS, Seine-Saint-Denis) a dénoncé, lui, un recul des libertés publiques. Le groupe socialiste entend d’ailleurs saisir le Conseil constitutionnel d’un recours sur « une quinzaine d’articles »« visant les pouvoirs accrus des préfets, les fouilles de véhicules, ou le racolage », a-t-il précisé.

« EFFET D’AFFICHAGE »

Tout au long des débats suscités par le texte, au Sénat puis à l’Assemblée, la gauche a dénoncé « l’idéologie du tout répressif », accusant souvent le gouvernement de rechercher l’« effet d’affichage » par un projet orienté « contre les petits, les pauvres, les faibles », difficile à appliquer et insuffisant, selon elle, à régler le problème de la délinquance. « Nous avons essayé de trouver des réponses concrètes à l’insécurité, avec une seule ambition : montrer que la politique pouvait peser sur les événements », a plaidé à plusieurs reprises M. Sarkozy. « On crée surtout des délits à tour de bras », a encore protesté, mercredi soir, M. Le Roux. En l’occurrence, aux côtés de mesures de développement des fichiers de police (particulièrement celui des empreintes génétiques) ou de renforcement des possibilités de contrôles d’identité ou de fouille de véhicules, la loi instaurera un délit de « racolage passif » – sanctionné comme le racolage actif -, réprimera l’installation illégale de gens du voyage, la « mendicité agressive » et les regroupements dans les parties communes d’immeubles constituant des entraves à la circulation.


A ces dispositions, prônées par le gouvernement, s’en sont donc ajoutées bien d’autres, avancées par les parlementaires. « La sanction, la répression, la punition, il ne faut pas en avoir peur », n’a cessé de répéter dans ces débats M. Sarkozy, se disant déterminé à « ne plus rien laisser passer ». « Punir, ordre, norme, règles, ce ne sont pas des mots tabous », a eu l’occasion de lui faire écho le député socialiste Manuel Valls, maire d’Evry (Essonne).

Si ce dernier, ancien conseiller de Lionel Jospin à Matignon, a, comme d’autres de ses homologues socialistes, insisté sur le fait qu’« agir pour la sécurité »pour « répondre à la crise sociale »n’est « pas suffisant »et qu’il faut aussi « donner la priorité à l’éducation, la rénovation de l’habitat, etc. », son discours a mis en exergue les désaccords à gauche et particulièrement au sein du PS, sur la question de la sécurité.

Les socialistes sont souvent apparus en porte-à-faux. Quand ils n’ont pas fait appel à l’héritage du gouvernement de Lionel Jospin en matière de lutte contre l’insécurité, ils se sont publiquement opposés sur certaines questions ou ont voté des dispositions avec la droite, avant de déclarer que, tout bien réfléchi, cela ne leur « ressemblait pas ».

La discussion sur la prostitution a ainsi vu, le 21 janvier à l’Assemblée nationale, Martine Lignières-Cassou (PS, Pyrénées-Atlantiques) défendre la pénalisation des clients de prostituées. Elle a reçu l’appui de Ségolène Royal (PS, Deux-Sèvres) et de Christine Boutin (UMP, Yvelines). Mais elle a dû affronter les critiques des députés Verts Noël Mamère (Gironde) et Martine Billard (Paris). Deux jours plus tard, le PS a voté avec la droite la création d’un délit d’outrage au drapeau et à l’hymne national. Vote assumé par un Manuel Valls, mais pas par l’ensemble du groupe qui a invoqué une mauvaise coordination et la « jeunesse » de ses quelques rares élus qui étaient encore en séance.

« Ce projet permettra de restaurer le pacte républicain », a avancé, mercredi, Christian Estrosi, rapporteur (UMP, Alpes-Maritimes) de ce texte pour le compte de la commission des lois de l’Assemblée nationale. M. Sarkozy s’est engagé à évaluer « dans les mois qui viennent ce que donnent » ces mesures contenues. Il a laissé entendre qu’elles pourraient faire l’objet d’adaptations.

[source – lemonde.fr]