Lentement, mais sûrement, la lutte contre le piratage change de forme.
Depuis quinze jours, quelques dizaines d’abonnés d’AOL France ont reçu par lettre recommandée une mise en demeure signée de la direction juridique de leur fournisseur d’accès. « Nous avons été saisis d’une réclamation à propos d’un système d’échanges de fichiers peer-to-peer que vous avez mis à disposition des internautes via AOL », explique en introduction cette lettre, dont le JDN s’est procuré un exemplaire. Suit une liste détaillée, et datée, des fichiers incriminés.
Trois paragraphes plus bas, le courrier indique que ces pratiques sont contraires aux conditions générales d’utilisation (CGU) « acceptées lors de la souscription de l’abonnement ». « Vous voudrez bien en conséquence nous notifier (…) dans un délai de 48 heures (…) de tous documents attestant de la titularité de vos droits (…). Pour le cas où vous ne seriez pas en mesure de produire ces autorisations (….), nous pourrons être amenés à procéder à la fermeture de votre compte AOL. »
Contacté par le JDN, AOL France indique que cette lettre a été réalisée « en concertation avec les membres de l’AFA », l’Association des fournisseurs d’accès. « Ce courrier a pour but d’informer les abonnés, explique un porte-parole d’AOL, que des tiers titulaires de droits sur des oeuvres leur contestent la légitimité de les utiliser ou de les diffuser via AOL. Nous tenons à la disposition des abonnés les coordonnées des tiers auteurs des réclamations. »
L’action, qualifiée de « préventive » par AOL France, ne se fait donc pas au nom d’une procédure juridique ou d’un collectif (comme la RIAA aux Etats-Unis) mais sur la demande directe des éditeurs. Sur ce point, les choses devraient pourtant très vite évoluer. « La lutte contre le piratage des logiciels de jeu via le peer-to-peer est notre priorité, souligne Jean-Claude Larue, délégué général du SELL, le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs. Dans les semaines qui viennent, nous allons entreprendre des actions fortes pour faire des exemples. Et, croyez-moi, ces actions se feront avec la police ou la gendarmerie à domicile. »
La position du SELL confirme les informations révélées par le JDN le 24 janvier dernier, qui faisaient état de plusieurs affaires de propriété intellectuelle en cours d’instruction liées au peer-to-peer. Des affaires qui devraient sous peu aboutir aux premières inculpations avec identification des utilisateurs.
Reste que dans ce domaine, la CNIL (Commission nationale de l’Informatique et des libertés) risque de remettre à plat certaines procédures. « La CNIL n’autorise pas la collecte des adresses IP sans le consentement des utilisateurs, explique Didier Wang, président du conseil d’administration de RetSpan, prestataire spécialisé dans la lutte contre le piratage. Or cette limite empêche certaines identifications. Il est aujourd’hui nécessaire de clarifier ce point. »
Chez Wanadoo, où l’heure n’est pas aux courriers préventifs, l’orientation choisie pour collaborer dans la lutte contre le piratage passe justement par la voie juridique. « Les éditeurs qui ont engagé une procédure peuvent nous demander l’identification d’un abonné, explique-t-on à la filiale Internet de France Télécom. Mais nous avons une obligation de neutralité quant à l’utilisation que peuvent avoir nos abonnés de leur connexion. »
Sur le fond, l’action menée par AOL France traduit une nouvelle orientation de la part des FAI dans la lutte contre le piratage. Ecartelés entre des internautes accros aux joies du haut débit et des éditeurs de disques ou de logiciels en guerre contre le peer-to-peer, les FAI se retrouvaient, il est vrai, de plus en plus exposés. S’y ajoute la problématique de la bande passante consommée par les téléchargeurs émérites.
En janvier dernier, au MidemNet de Cannes, Hillary Rosen, la présidente de la RIAA (Recording Industry Association of America, le syndicat américain de l’industrie du disque), avait ainsi envisagé la création d’une taxe appliquée aux fournisseurs d’accès pour endiguer le phénomène du piratage. Quelques jours plus tard, le FAI américain Verizon se voyait ordonner par la justice de dévoiler l’identité de l’un de ses abonnés par ailleurs utilisateur de KaZaA.
Un fichier par-ci, un fichier par-là… Pris individuellement, le téléchargement en peer-to-peer de fichiers musicaux, de DivX ou de logiciels peut prêter à sourire. Pourtant, la somme de ces comportements artisanaux ne fait plus du tout rire le secteur de l’entertainment. Selon un sondage Ipsos-Reid mené en début d’année sur douze pays, dont les Etats-Unis et la France, 44 % des internautes seraient aujourd’hui des téléchargeurs illégaux en puissance. Que de lettres recommandées…
[Ludovic Desautez, JDNet]
[source – journaldunet.com]