L’Irak plonge l’Otan dans une crise sans précédent

L’Otan s’est enfoncée lundi dans une crise d’une gravité rarement égalée après que la France, l’Allemagne et la Belgique eurent rejeté la logique américaine de guerre en refusant de protéger dès maintenant la Turquie contre une éventuelle attaque de l’Irak.

Les ambassadeurs de l’Alliance atlantique se sont séparés sans accord à l’issue d’un débat très vif entre les 16 pays du camp américain et la « bande des trois », qui ont procédé à un échange d’amabilités étonnant pour des alliés de cinquante ans.

« L’Otan a protégé l’Allemagne pendant quarante ans et maintenant elle refuse de venir en aide à un allié », a, selon des témoins, lancé un ambassadeur au représentant allemand.

Cela n’a guère ému la France, l’Allemagne et la Belgique.

Paris, Berlin et Bruxelles ont rompu lundi matin la « procédure de silence » de l’Alliance atlantique qui, sans cela, aurait automatiquement approuvé six mesures demandées par les Etats-Unis il y a près d’un mois afin de sécuriser la Turquie, le seul allié de l’Otan qui ait une frontière avec l’Irak.

Ces demandes couvrent l’envoi d’avions de surveillance-radar AWACS, de batteries de missiles antimissiles Patriot, ainsi que la mise à disposition des ports, des bases, de l’espace aérien et des capacités de ravitaillement en vol de l’Otan.

L’envoi d’avions de reconnaissance et d’unités de combat contre la guerre chimique et biologique est également requis.

Le secrétaire général de l’Otan, George Robertson, avait, en enclenchant cette procédure de silence, espéré que les trois pays se rallieraient à la majorité. Mais, si l’Allemagne a hésité, elle a finalement fait front avec Paris et Bruxelles.

RIEN AVANT VENDREDI

« Cela signifierait, si nous étions d’accord avec ce qu’on nous propose, que l’on est déjà dans la logique de guerre, et à ce moment-là, il faut bien dire que toute chance de régler le conflit de manière pacifique s’envole », a expliqué le ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, sur Europe 1.


Les « Trois » ont certes solennellement réaffirmé leur disponibilité à voler au secours de la Turquie en cas d’attaque dans une déclaration lue au début de la réunion.

« La France, la Belgique et l’Allemagne réaffirment leur détermination à remplir toutes les obligations découlant de l’esprit et de la lettre du Traité de l’Atlantique Nord à l’égard de tous les alliés, notamment la Turquie », y disent-ils.

Mais ils refusent de préjuger de la suite des événements en envoyant prématurément des moyens de l’Otan en Turquie, alors que le Conseil de sécurité de l’Onu n’a encore rien décidé.

« Nous ne voulons pas envoyer le mauvais message à un moment crucial », a-t-on déclaré de source française à l’Otan. « Notre calendrier est calé sur celui des Nations unies, » a-t-on souligné de même source. « La prochaine étape, c’est vendredi ».

Il n’y aura donc pas d’évolution de la position de la France, de l’Allemagne et de la Belgique avant le 14 février, date de la remise du second rapport des inspecteurs de l’Onu.

Hans Blix, le chef de la Commission de contrôle, de vérification et d’inspection de l’Onu (Unmovic), et Mohammed ElBaradeï, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sont arrivés lundi à Athènes après un week-end d’entretiens à Bagdad marqué selon eux par un changement d’attitude encourageant de la part des Irakiens.

Les « Trois » ont été mis sous pression par leurs partenaires, le chef du comité militaire de l’Otan, le général Haral Kujat, ayant fait un exposé sur les menaces qui pèsent sur la Turquie.

MENACE REELLE OU VIRTUELLE?

« Il était évident que ces préoccupations étaient légitimes et que cette menace est réelle », a estimé George Robertson, en regrettant l’absence de consensus et en annonçant une nouvelle réunion du Conseil des l’Atlantique Nord pour mardi.


Mais ils ont tenu bon malgré ce tir de barrage.

« Cette menace potentielle dépend du déroulement de la crise », souligne-t-on de source française en rappelant que les bases de l’Otan en Turquie n’ont jamais été attaquées par l’Irak depuis la fin de la guerre du Golfe, malgré les bombardements américains et britanniques de sites irakiens.

Cela n’empêchera toutefois pas les pays individuels de prêter leur aide à la Turquie de manière bilatérale – les Néerlandais ont annoncé le déploiement de Patriot -, sans que les trois nations récalcitrantes y voient à redire.

« Peut-être la solution à ce casse-tête sera-t-elle une liste d’actions bilatérales », estime un responsable de l’Otan.

Le débat s’est encore compliqué lundi lorsque la Turquie a repris les demandes américaines à son compte en invoquant formellement pour la première fois de l’histoire l’article IV du traité de l’Atlantique Nord, qui prévoit des « consultations » en cas de menace « l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties ».

Le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, a fustigé lundi l’attitude de la France, de l’Allemagne et de la Belgique, qui n’empêchera pas selon lui l’aide à la Turquie.

Cette dernière sera octroyée « hors de l’Otan si nécessaire », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à Washington.

George Robertson, fidèle allié des Etats-Unis, n’a pas caché que l’heure était « difficile » pour son organisation.

« Je ne cherche pas aujourd’hui à dissimuler la gravité de ce dossier », a-t-il déclaré avant de prédire que le consensus prévaudrait finalement, dans la mesure où le débat porte non pas sur le fond – la solidarité avec un allié subissant une éventuelle attaque – mais sur l’opportunité de préjuger d’une intervention militaire par une annonce prématurée.

Une véritable crise est cependant ouverte à l’Otan, où l’on compare la situation aux tensions qui ont prévalu lors de la guerre du Kosovo, du déploiement des missiles Pershing et Cruise dans les années 1980 ou de la bombe à neutrons.

« En réalité, à ce stade, (la position des Trois) revient à soutenir Saddam Hussein, » a déclaré Marek Siwiec, conseiller de sécurité nationale du président polonais Alexander Kwasniewski.

L’ambassadeur américain auprès de l’Otan, Nicholas Burns, s’est est pris de manière frontale aux « trois alliés ».

« A cause de leurs actions, l’Otan est désormais confrontée à une crise de crédibilité », a-t-il déclaré.

Du côté français, on minimise toutefois ces comparaisons.

« C’est le genre de discours catastrophiste qui crée le danger qu’il dénonce », a-t-on estimé de source française.

[source – yahoo.com]