L’Otan s’est enfoncée dans la crise après le refus de la France, de l’Allemagne et de la Belgique d’entrer dans la logique américaine de guerre en protégeant la Turquie contre une éventuelle attaque de l’Irak.
La Turquie a immédiatement repris ces demandes américaines à son compte en invoquant pour la première fois de l’histoire l’article IV du traité de l’Atlantique Nord, qui prévoit des « consultations » en cas de menace contre la sécurité d’un membre.
Les ambassadeurs de l’Otan, qui se sont réunis lundi matin, devaient se retrouver à partir de 16h30 (15h30 GMT) pour examiner les conséquences de cette crise et la demande turque.
Le secrétaire général de l’Otan, George Robertson, n’a pas caché que l’heure était « difficile » pour son organisation.
« Je ne cherche pas aujourd’hui à dissimuler la gravité de ce dossier », a-t-il déclaré avant de prédire que le consensus prévaudrait finalement, dans la mesure où le débat porte non pas sur le fond – la solidarité avec un allié subissant une éventuelle attaque – mais sur l’opportunité de préjuger d’une intervention militaire par une annonce prématurée.
« Je suis confiant quant au fait que nous parvenions à un accord, » a-t-il ajouté lors d’un point de presse.
Paris, Berlin et Bruxelles ont rompu lundi matin la « procédure de silence » de l’Alliance atlantique qui, sans cela, aurait automatiquement approuvé six mesures demandées par les Etats-Unis il y a près d’un mois afin de sécuriser la Turquie, le seul allié de l’Otan qui ait une frontière avec l’Irak.
Ces demandes couvrent l’envoi d’avions de surveillance-radar AWACS, de batteries de missiles antimissiles Patriot, ainsi que de la mise à disposition des ports, des bases, de l’espace aérien et des capacités de ravitaillement en vol de l’Otan.
PAS DE MOUVEMENT AVANT VENDREDI
L’envoi d’avions de reconnaissance et d’unités de combat contre la guerre chimique et biologique est également requis.
Le ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, qui venait de s’entretenir avec son homologue français Dominique de Villepin, a défendu lundi sur Europe 1 cette décision annoncée, qui a provoqué la colère de l’administration américaine.
« Cela signifierait, si nous étions d’accord avec ce qu’on nous propose, que l’on est déjà dans la logique de guerre, et à ce moment-là, il faut bien dire que toute chance de régler le conflit de manière pacifique s’envole », a-t-il expliqué.
C’est exactement ce dont les trois pays récalcitrants ne veulent pas, même s’ils n’ont aucune objection à venir en aide à la Turquie au cas où le Conseil de sécurité déciderait une intervention militaire contre l’Irak.
Selon un diplomate, il n’y aura vraisemblablement pas d’évolution avant le 14 février, date de la remise du second rapport des inspecteurs de l’Onu. « Je ne nous vois pas changer de position, en tout cas pas avant vendredi ».
Hans Blix, le chef de la Commission de contrôle, de vérification et d’inspection de l’Onu (Unmovic), et Mohammed ElBaradeï, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sont arrivés lundi à Athènes après un week-end d’entretiens à Bagdad marqué selon eux par un changement d’attitude encourageant de la part des Irakiens.
CRITIQUES AMERICAINES
Les ambassadeurs de l’Otan se sont réunis lundi pour examiner les conséquences de ce refus, qui est d’autant plus significatif que l’Allemagne, hésitante pendant le week-end, a finalement maintenu un front uni avec la France.
Le premier objectif est de permettre aux trois pays récalcitrants d’expliquer leur position face à leurs homologues et d’évoquer les idées franco-allemandes, qui présentent une alternative à une intervention militaire, notamment par l’accroissement du nombre d’inspecteurs en désarmement.
Mais les ambassadeurs doivent surtout évoquer la demande de la Turquie de tenir des consultations au titre de l’article IV.
Cet article du traité fondateur de 1949 prévoit que « les parties se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacé ».
En faisant cela, la Turquie présente alors elle-même les demandes qui étaient jusqu’à présent formulées par les seuls Américains, mettant les alliés devant leurs responsabilités.
La réponse des trois pays risque d’aggraver les tensions.
« On se donne un peu de temps pour réfléchir », a souligné un diplomate selon lequel il devrait y avoir un refus. « C’est le signal qui compte et l’on donnerait l’impression que la menace est imminente si on acceptait la demande turque ».
Les Etats-Unis ont fait monter les enchères en faisant donner l’artillerie lourde contre les pays de la « vieille Europe » opposés à sa politique en Irak.
L’ambassadeur américain auprès de l’Otan, Nicholas Burns, a fustigé la décision des « trois alliés ».
« A cause de leurs actions, l’Otan est désormais confrontée à une crise de crédibilité », a-t-il déclaré.
Dans une interview publiée lundi par Le Figaro, le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, les a fustigé avec encore plus de virulence que samedi.
« Certains membres ont bloqué (la) demande. Je pense que c’est une honte. Ces pays seront jugés par leurs propres peuples et par les autres membres de l’Alliance », a-t-il dit.
Il s’agit là d’une nouvelle escalade dans la guerre des mots entre les deux rives de l’Atlantique, après que Louis Michel eut estimé dimanche à la télévision belge que les Américains, qui « n’ont pas réussi à attraper Oussama ben Laden (…) doivent maintenant trouver un ennemi qu’ils peuvent vaincre ».
[source – yahoo.com]