Le projet TIA, une mégabase censée aider le gouvernement à lutter contre le terrorisme, vient de se voir refuser par le Congrès tout financement public. Mais en coulisse, un autre projet « orwellien » prend forme: « Multistate Anti-Terrorism Information Exchange ».
Un nouveau programme américain d’interconnexion des fichiers publics et privés est en phase de test depuis quelques mois. « Matrix », tel est son nom de baptème, vise à optimiser l’échange d’informations en matière de terrorisme et de criminalité entre les forces de l’ordre, qu’elles soient locales ou fédérales.
Ce programme semble intéresser au plus haut point plusieurs services de police et de renseignements qui n’ont, en temps normal, pas le droit d’agréger autant de données.
« Matrix » se fait un nom alors qu’un autre projet « orwellien » de l’administration Bush vient d’être, pour l’instant, abandonné. La mégabase « Terrorism Information Awarness », né dans les cerveaux de l’agence de recherche du Pentagone (la DARPA), vient de se voir refuser tout financement par la Chambre des représentants; le Sénat avait déjà voté contre toute allocation de budget tant que tous les problèmes juridiques de sa mise en application n’aient été réglé.
Mauvais polar
Décidément peu regardantes envers le passé de leurs collaborateurs, les autorités américaines ont confié à un autre personnage tout aussi peu amène le soin de créer une nouvelle interconnexion de milliards de données personnelles concernant les citoyens américains.
L’information, révélée début août par le quotidien de Floride Saint Petersburg Times, n’a vraiment commencé à faire du bruit qu’après sa reprise par Associated Press et The Register, les 23 et 24 septembre dernier. Ils omettent cela dit un certain nombre de détails pour le moins croustillants de cette affaire digne d’un mauvais polar.
Le projet, ça ne s’invente pas, a pour nom Matrix, pour Multistate Anti-Terrorism Information Exchange. Financé par le Département de la justice américain, à concurrence de 4 millions de dollars pour l’instant, Matrix vise à optimiser l’échange d’informations en matière de terrorisme et de criminalité entre les forces de l’ordre, qu’elles soient locales ou fédérales.
6600 agences américaines connectées
A ce jour, 13 états participent au projet pilote et échangent leurs données via un réseau sécurisé intitulé RISS (pour Regional Information Sharing Systems). Celui-ci vise également à échanger des informations, et coordonner les efforts des forces de l’ordre en matière de lutte contre le trafic de drogue, le terrorisme, la cybercriminalité, les gangs et autres organisations criminelles.
Pas moins de 6600 agences américaines sont connectées au Riss : du commissariat de quartier à la Drug Enforcement Administration (DEA), en passant par les douanes, le FBI ou les services secrets. Le projet inclue également des agences canadiennes, australiennes, portoricaines ou encore britanniques.
La différence entre les informations accessibles par le Riss et celles échangées via Matrix tient essentiellement en ce que ce dernier permet non seulement de consulter nombre de données criminelles ou administratives (permis de conduire, fichiers des plaques d’immatriculation, etc.), mais aussi des bases de données privées qui ne sont normalement accessibles qu’après obtention d’un mandat.
L’astuce du privé
L’astuce consiste à passer par un sous-traitant, lui aussi privé, et donc habilité à interconnecter des bases de données, ce que les autorités ne sont a priori pas autoorisées à effectuer, en vertu du Privacy Act, la loi de protection de la vie privée adoptée aux Etats-Unis en 1974.
Le Département de la Sécurité intérieure (Department of Homeland Security), créé dans la foulée des attentats du 11 septembre pour coordonner la lutte antiterroriste, serait prêt, selon le quotidien Washington Post, à investir 8 millions de dollars supplémentaires pour étendre Matrix au niveau national. Une broutille en comparaison des 3,2 milliards de dollars qu’il a confiés au Département de la Justice en 2003.
Matrix aurait donc de l’avenir. Phil Ramer, un des policiers en charge du projet, a déclaré au Post: «C’est effrayant. Des abus pourraient être perpétrés : je peux tout savoir de vous et de vos voisins». Avant d’ajouter: «Notre principal problème aujourd’hui est que tous ceux qui en entendent parler veulent l’adopter.»
Autre problème: la personnalité-même de l’initiateur du projet Matrix, un homme soupçonné d’être un ancien trafiquant de drogue, et d’avoir contribué au truquage de l’élection de Georges Bush.
Jean-Marc Manach, Transfert.net.
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[source – zdnet.fr]Jerome Thorel