Eco-Emballages a égaré des dizaines de millions d’euros d’argent public dans des paradis fiscaux

Les dirigeants d’Eco-Emballages – une société privée, mais bénéficiant d’un agrément de l’État pour financer et organiser la filière de recyclage des déchets d’emballage ménagers – ont été convoqués par Jean-Louis Borloo.

Le ministre étant absent pour cause de sommet européen sur le climat à Poznan, c’est son directeur de cabinet, Jean-François Carenco, qui les reçoit.

Il veut entendre leurs arguments après cette nouvelle stupéfiante : la veille, un communiqué du ministère révélait que près de 60 millions d’euros issus de la trésorerie de cet organisme étaient bloqués sur des placements à risque dans des paradis fiscaux («Les Echos» du 10 décembre).

Sommés de s’expliquer, les dirigeants d’Eco-Emballages plaident non coupables.

«La situation de trésorerie est saine et n’engendre aucune remise en cause du respect des engagements», a déclaré une porte-parole.

La société assure avoir agi «comme tout le monde», dit le ministère.

Par exemple, Géraldine Poivert, la directrice générale d’EcoFolio, revendique, elle, une gestion «de bonne mère de famille».

La trésorerie de cet autre éco-organisme, chargé de gérer la filière de recyclage des papiers, «est placée sur des supports complètement sécurisés», affirme-t-elle.

Créé en 1992, Eco-Emballages est une société anonyme, contrôlée majoritairement par 210 industriels utilisateurs d’emballages, actionnaires d’Ecopar, sa maison mère.

Privée donc, cette société à but non lucratif agit néanmoins en éco-organisme agréé par l’État.

Elle gère l’argent public des éco-contributions, perçues auprès des industriels, et le redistribue vers les collectivités locales.

Selon les chiffres produits par Eco-Emballages – qui a repris son unique concurrent, Adelphe -, quelque 50.000 entreprises versent «environ 411 millions d’euros par an, soit en moyenne 0,6 centime d’euro par emballage».

Toujours selon Eco-Emballages, qui de par son statut n’est pas soumis à l’audit de la Cour des comptes, «95 % des contributions sont reversés aux collectivités territoriales».

La trésorerie d’Eco-Emballages est structurellement positive, puisque l’entreprise perçoit les contributions des industriels avant de les reverser aux communes.

Elle fait, en toute logique, travailler cet argent, ce qui lui a permis de toucher 13,7 millions d’euros de produits financiers nets d’impôts et de charges exceptionnelles l’an dernier.

Et, sur l’exercice en cours, si l’on se réfère aux prévisions publiées dans le rapport annuel 2007, l’entreprise espérait engranger 78 millions.

La société assure qu «environ 80 %» de ses fonds sont placés sur des produits monétaires ne présentant aucun risque, et, c’est là l’origine du scandale, «environ 20 %» sur des «placements dynamiques» gérés par «un organisme financier de Zurich» dont elle ne donne pas l’identité.

Un organisme soupçonné par le ministère de l’Ecologie d’en avoir investi une partie dans des fonds spéculatifs situés dans des paradis fiscaux.

Le ministère subodore aussi que la part placée dans ces fonds à risque a pu représenter jusqu’à 45 % de la trésorerie, avant de redescendre à 20 %.

Le 21 avril dernier, prenant conscience d’un «contexte financier incertain», le conseil d’administration d’Eco-Emballages « alerté, semble-t-il, par les inquiétudes du commissaire aux comptes du cabinet Mazars » s’alarme : les fameux «placements dynamiques» risquent fort de se transformer en catastrophe, il faut les débloquer au plus vite.

Mais la direction générale, chargée d’exécuter cet ordre, n’y réussit pas en totalité : à ce jour, «deux fonds» de placements à risque n’ont pu être débloqués, à cause d’un «problème de liquidité de l’organisme financier concerné».

55 millions d’euros (version Eco-Emballages) ou 60 millions (version ministère) sont perdus dans la nature, on ne sait trop où.

Le 15 novembre dernier, la directrice financière d’Eco-Emballages a démissionné.

A titre temporaire, ses fonctions ont été reprises en direct par Bernard Hérodin.

Lorsque le sujet de ces placements à risque a été abordé, le 21 avril, au conseil d’administration d’Ecopar, la maison mère d’Eco-Emballages, « les personnes présentes ont été étonnées d’apprendre que de tels placements avaient été faits sans qu’on les ait consultées », se souvient un administrateur.

En fait, la gouvernance est aux mains des industriels regroupés dans Ecopar.

Mais comme ces industriels sont des patrons opérationnels n’ayant guère le temps de s’impliquer dans les dossiers, il n’y a pas de contre-pouvoir fort au management.

A l’association des maires de France (AMF), la découverte des placements à risque réalisés par Eco-Emballages est un peu ressentie comme une trahison, compte tenu du partenariat étroit qui les lie.

Eco-Emballages est investi d’une mission d’intérêt général : il collecte des fonds destinés à des collectivités publiques qui assurent le service public de traitement des déchets ménagers.

L’AMF pouvait d’autant moins soupçonner les «opérations exotiques» d’Eco-Emballages que ni elle ni aucune collectivité locale ne siège au conseil d’administration.

En revanche, l’État y est représenté, fait valoir Jacques Pélissard, en regrettant que son « censeur n’y dispose peut-être pas de pouvoirs de contrôle suffisants ».

Eco-Emballages a indiqué qu’il « apportera des précisions quant à la politique de gestion de sa trésorerie le 16 décembre, lors d’une réunion avec ses parties prenantes ».

Face au scandale, le ministère exige une « vraie réforme » de sa gouvernance.

Si Jean-François Carenco refuse de « jeter le bébé avec l’eau du bain », il a donné jusqu’au 18 décembre aux dirigeants de la société pour lui remettre la copie d’un projet de création d’un comité stratégique et d’un comité d’audit, avec la présence d’un commissaire du gouvernement au conseil d’administration.

En clair : le ministère n’a pas les moyens légaux de pousser les dirigeants d’Eco-Emballages à la démission, puisqu’il s’agit d’une entreprise privée.

Mais s’ils ne tirent pas eux-mêmes les conclusions qui s’imposent, c’est une autre société qui sera autorisée à percevoir et reverser l’argent des éco-contributions.

Fanch