Nicolas Sarkozy avait demandé à Jacques Attali un projet clefs en main pour donner à la France un point de croissance supplémentaire d’ici à 2012.
Les quelque 300 propositions qu’il recevra officiellement, mercredi, ne le décevront certainement pas.
Invitant à un vaste mouvement de dérégulation, il prône tout à la fois la suppression des départements, l’ouverture des professions règlementées, de la distribution, etc.
Si toutes les mesures sont mises en œuvre entre avril 2008 et juin 2009, Jacques Attali promet, non seulement ce point de croissance supplémentaire, mais un taux de chômage ramené à 5 % et une réduction drastique de la dette publique.
Luc Chatel, secrétaire d’État à la Consommation, abonde dans le sens des conclusions de la commission, en prônant davantage de concurrence dans la grande distribution, la parapharmacie et les banques.
«Mode d’emploi pour des réformes urgentes et fondatrices», «non partisan» et «résultat d’un consensus» entre les 44 membres de la Commission pour la libération de la croissance française, le document révélé vendredi par lesechos.fr avant sa présentation à Nicolas Sarkozy après-demain se veut l’un des plus prometteurs et ambitieux jamais réalisés depuis le rapport Armand-Rueff, remis à Michel Debré en 1960 : si les 20 «décisions fondamentales» et plus de 300 propositions (314 dans la version quasi définitive mise en ligne) sont mises en œuvre, la croissance potentielle de la France, ce «pays trop lent», peut être augmentée de 1 point d’ici à fin 2012, le taux de chômage ramené à 5 %, le nombre de Français sous le seuil de pauvreté abaissé de 7 à 3 millions, 10.000 entreprises créées dans les banlieues, la dette publique ramenée à 55 % du PIB…
Et le bonheur selon Jacques Attali n’est pas pour un avenir lointain, mais bien pour un futur proche.
Son plan s’inscrit, en effet, dans un calendrier politique précis car «le pays voudra en mesurer les effets au printemps 2012», date des prochaines élections présidentielles.
C’est possible, écrit-il, si «toutes» les «décisions» qu’il préconise, sans exception, sont «préparées en détail de janvier à avril 2008» puis «mises en œuvre entre avril 2008 et juin 2009».
La commission a défini trois priorités : «capter les bénéfices de la croissance mondiale ; promouvoir des acteurs mobiles et sécurisés ; mettre la gouvernance au service de la croissance».
Avec comme premier objectif d’améliorer la situation des «actuels perdants du statu quo» : les jeunes, les pauvres, les exclus du marché du travail «et plus généralement les classes moyennes».
Un pays multi-spécialisé Titré «300 décisions pour changer la France», le rapport balaie tout le spectre de l’économie, plaidant ainsi pour un pays multi-spécialisé : dans le low-cost et les nanotechnologies, dans les services à la personne et la finance.
Presque toujours, il met l’accent sur l’ouverture (des professions règlementées, du secteur de la distribution, du marché du travail aux étrangers, du cumul emploi-retraite, du travail le dimanche, des effectifs de Normale sup ou de Polytechnique…) plutôt que sur la sanction.
Jacques Attali ne propose, par exemple, ni de relever l’âge de départ à la retraite ni de contrôler davantage les chômeurs, restant assez flou sur l’instauration d’un bonus-malus pour orienter les comportements des entreprises en matière d’embauche ou pour plafonner les indemnités chômage.
Et il ne préconise de quotas pour assurer la diversité aux élections que «faute d’autres moyens».
Nombre de ses propositions (réduction des délais de paiement de l’État aux PME, création de pôles d’enseignement supérieur, réforme de la représentativité, rupture à l’amiable du contrat de travail…) légitiment au passage la politique de réforme menée depuis le printemps dernier.
«Celles des décisions impliquant un coût budgétaire nouveau sont toutes financées, et respectent l’objectif de réduction de 1 % de la part des dépenses publiques dans le PIB», assure par ailleurs la commission, qui a pris soin de préconiser l’apport de fonds privés pour l’université, le très haut débit ou les «Ecopolis», ces villes nouvelles modèles d’écologie et de technologie.
Il n’empêche : même s’il se veut «prêt à l’emploi», le travail de la commission Attali risque d’apparaître assez largement irréaliste, a fortiori dans les délais impartis.
«Ce que vous proposerez, nous le ferons», avait imprudemment assuré Nicolas Sarkozy en installant la commission.
Tout élève devrait maîtriser le français (lecture, écriture) et les mathématiques avant la fin de la sixième.
Aujourd’hui, 15 % des élèves quittent le primaire en grande difficulté scolaire.
Plus étonnant, la commission propose d’enseigner dès l’école primaire des rudiments d’économie (rôle du travail, écologie…).
Le rapport suggère de constituer dix pôles d’excellence de «taille mondiale», regroupant plusieurs disciplines et établissements.
Un investissement de 10 milliards d’euros qui pourrait être financé à 80 % par le privé.
Le rapport a l’ambition de placer la France «au premier rang» dans les secteurs du numérique, de la santé, de l’écologie, du tourisme, des nanotechnologies, etc.
Ce qui passe par la concentration des crédits de recherche sur tous ces secteurs.
La commission Attali estime nécessaire la mise en chantier de 10 «Ecopolis», présentés comme des «espaces urbains durables» d’au moins 50.000 habitants.
Véritables laboratoires environnementaux, ces projets auraient le soutien financier de la Caisse des Dépôts et Consignations.
Le numérique est un enjeu majeur pour la croissance : le rapport souhaite la mise en place du très haut débit pour tous au domicile, au travail et dans les administrations d’ici à 2016.
La politique des grands chantiers est de retour avec l’idée de doper l’attractivité de la France.
Dans les transports, le rapport veut faire de Roissy le premier aéroport d’Europe et ouvrir les ports du Havre et de Marseille à la concurrence, préalable à la transformation de Paris en place financière «de niveau mondial».
Le rapport préconise la réduction des délais de paiement : dix jours pour la TVA et un mois pour les biens et services.
Mais il avance aussi l’idée nouvelle d’un statut fiscal unique pour les PME réalisant moins de 50.000 euros de chiffre d’affaires.
Le rapport propose de créer une agence pour aider les entreprises de moins de 20 salariés dans leurs démarches administratives.
Seuls les syndicats obtenant 15 % des suffrages seraient représentatifs au niveau des entreprises (élections des délégués du personnel et du comité d’entreprise).
Ce seuil sera ramené à 10 % au niveau des bran- ches et à 12 % au niveau national.
La commission veut obliger toutes les entreprises et toutes les collectivités publiques à présenter, chaque année, un bilan de la diversité par âges, par sexes et par origines.
Afin de réduire le coût du travail, il est proposé de diminuer de 3 points les cotisations sociales salariales (13,7 milliards d’euros) et de relever de 0,6 point la CSG et de 1,2 point la TVA.
Une mesure qui augmenterait le salaire net (effet pouvoir d’achat) et réduirait le salaire brut (emploi).
Le rapport préconise une exonération de cotisations chômage dès 55 ans, la suppression de toute limitation au cumul emploi-retraite, l’attribution d’un supplément de retraite après 65 ans.
La commission suggère d’instaurer le principe de liberté tarifaire dans la distribution et le commerce de détail, en levant les interdictions de revente à perte et en instaurant le principe de libre entrée dans le commerce de détail et l’hôtellerie-restauration.
La commission dénonce la lourdeur des règlementations pesant dans le secteur des transports (taxis), de la santé (pharmaciens, vétérinaires) et du droit (huissiers, notaires).
Pour y remédier, elle préconise d’ouvrir ces professions «très largement» à la concurrence.
La commission propose de créer une bourse Internet du logement social.
Elle recensera à l’échelle nationale les logements vacants et ceux disponibles pour un échange.
Elle facilitera l’échange entre deux logements, à condition que les locataires aient des raisons légitimes de permuter leur logement.
La formation des demandeurs d’emploi doit être considérée comme une activité nécessitant une rémunération.
Ceux qui accepteront de s’engager à temps plein dans leur recherche d’emploi bénéficieront d’une allocation complémentaire de 300 euros par mois, qu’ils soient indemnisés ou non.
La commission suggère de revoir la définition du licenciement économique, en étendant la liste des motifs possibles à la «réorganisation de l’entreprise» et l «amélioration de la compétitivité».
Ainsi que l’envisage la revue générale des politiques publiques, la commission Attali est favorable à une cure d’amaigrissement sans précédent des administrations centrales et à la création d’agences des services publics, comme au Royaume-Uni ou en Suède.
Objectif : améliorer le service rendu aux usagers et moderniser la gestion des ressources humaines dans la fonction publique.
C’est l’une des mesures phares du rapport : pour mettre fin à la confusion induite par la décentralisation et clarifier les compétences, l’échelon départemental doit disparaître à l’horizon de dix ans.
A contrario, les régions et les inter-communalités doivent voir leurs pouvoirs et leurs moyens renforcés.
Corollaire : le Sénat verrait sa composition modifiée en conséquence.
La commission Attali appelle le gouvernement à réduire «dès 2008» la part des dépenses publiques dans le PIB.
L’effort devra atteindre 1 % du PIB à partir de 2009, ce qui représente 20 milliards d’euros d’économies par an.
De quoi réduire le surcroît de dépenses de la France par rapport à l’Allemagne, estimé à 150 milliards.
La commission Attali est favorable à une forte cure d’amaigrissement des administrations centrales et à la création d’agences des services publics.
C’est la dernière des 20 «décisions fondamentales» mais ce n’est pas la moindre : la commission Attali préconise une réduction drastique de la dépense publique, aujourd’hui la plus élevée des pays de l’OCDE en proportion de la richesse nationale (53,4 %).
Pour réaliser le coup de frein ambitieux à la dépense publique, Jacques Attali retient quelques propositions assez innovantes, dont certaines seront assurément très critiquées, comme la fixation d’une enveloppe limitative des crédits de l’assurance-maladie qu’Alain Juppé avait tenté d’instaurer en 1995, ou la mise sous condition de ressources des allocations familiales (2 milliards d’économies), à laquelle la gauche avait fini par renoncer en 1998.
Autre proposition choc, celle de faire évaluer tout agent de service public non seulement par ses supérieurs mais aussi par les usagers.
Jacques Attali propose encore de généraliser les «agences» de délégation de service public, considérées comme moins coûteuses et plus efficaces.
Ainsi, ce sont des agences qui devraient, selon lui, gérer l’impôt, tenir la comptabilité publique, remplacer l’Insee et l’administration.
Il propose 10 programmes d’administration électronique avec notamment une «bourse numérique de l’emploi» et une «justice numérique».
Le rapport Attali propose de faire disparaître une institution plus que bicentenaire au profit de pouvoirs locaux plus modernes qu’incarnent les régions et les agglomérations.
La France vivra peut-être en mars prochain l’une de ses dernières élections cantonales.
Si la proposition du rapport Attali de «faire disparaître en dix ans» le département se concrétise, ce scrutin n’aura plus lieu d’être.
Pour peu qu’émergent, comme le souhaite la commission, des «inter-communalités renforcées», dotées de certaines compétences départementales, et que les régions soient confortées «significativement dans leurs compétences traditionnelles», il en sera fini en 2018 de cet échelon territorial plus que bicentenaire.
Un niveau de regroupement considéré comme «la taille critique qui permet de diminuer les coûts des services publics locaux» et de l’administration territoriale.
La France «riche» de plus de 36.000 communes, de 26 régions, de 100 départements et de près de 2.500 établissements publics de coopération intercommunales (EPCI), encadrés par 550.000 élus locaux, a des «économies importantes» à tirer d’une organisation simplifiée et clarifiée.
Redessinée pour atteindre les économies d’échelle attendues, l’inter-communalité aurait une «existence constitutionnelle», comme l’ont les communes, les départements et, depuis peu, les régions.
Le rapport Attali appelle les pouvoirs publics à se focaliser sur les PME et la recherche.
Mais il préconise aussi un grand mouvement de libération de la concurrence.
La plupart des propositions sont déjà inscrites dans le projet de loi que prépare le secrétaire d’État aux Entreprises, Hervé Novelli, pour le printemps.
Celle d’une représentation unique des salariés dans toutes les PME de moins de 250 salariés, cumulant les fonctions du comité d’entreprise, des représentants du personnel et des délégués syndicaux.
Plus globalement, le rapport souhaite étendre ce qu’il appelle «la mobilité économique».
Il est favorable à l’abrogation pure et simple de la loi Galland sur les prix dans la grande distribution, tout en concédant, en contrepartie, un volet de défense du petit commerce.
Et il réclame davantage de mobilité internationale pour encourager l’expatriation des étudiants d’une part, faciliter l’accueil de main-d oeuvre étrangère qualifiée d’autre part.
Par ailleurs, la commission Attali insiste longuement sur les «nouveaux secteurs porteurs» que sont le numérique, la santé, l’environnement ou les services à la personne.
Elle préconise l’accès pour tous au très haut débit d’ici à 2016 ainsi qu’une politique ambitieuse pour les énergies renouvelables.
Pour placer la France «au cœur du monde», elle recommande, de surcroît, toute une batterie de mesures en faveur de la place financière de Paris et des infrastructures portuaires et aéro-portuaires.
Fanch