De nombreuses voix s’élèvent déjà pour critiquer une des dispositions contenues dans le projet de loi sur l’économie numérique. Les hébergeurs craignent de devoir se substituer aux tribunaux pour décider de la licéité de certains contenus.
Le projet de loi pour la « confiance » dans l’économie numérique ne rassure pas les acteurs et professionnels de l’internet. Présenté en conseil des ministres le 15 janvier 2003 par Nicole Fontaine, la ministre déléguée à l’industrie, ce texte modifie à nouveau les dispositions relatives à la responsabilité civile et pénale des hébergeurs de contenu sur l’internet.
Cette nouvelle formulation rallume la polémique qui a fait rage courant 2000 sur les fameux amendements du député parisien Patrick Bloche, débattus au moment de la refonte de loi sur la liberté de communication. Le député PS avait alors proposé l’introduction de plusieurs dispositions enjoignant à ces prestataires techniques de procéder rapidement aux « diligences appropriées », une fois avertis de la présence de contenus illicites sur leurs serveurs. Ce texte a été censuré en juillet 2000 par le Conseil constitutionnel, qui a jugé cette notion trop imprécise.
Avec la loi actuellement en vigueur, explique à ZDNet Murielle Cahen, avocate au barreau de Paris, « on ne peut engager la responsabilité [des hébergeurs] que si, ayant été saisis par une autorité judiciaire, ils n’ont pas agi promptement pour empêcher l’accès à un contenu défini comme posant un problème par un juge ». « Or le projet de loi [Fontaine] est plus contraignant ».
Retour en arrière
L’article 2 du projet édicte que les hébergeurs peuvent voir leur responsabilité civile engagée si elles n’ont pas retiré ou rendu l’accès impossible à des données « dès qu’elles ont eu la connaissance effective de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère illicite ». D’autre part, ils seront responsables pénalement « s’ils ne pouvaient ignorer le caractère illicite » du contenu en question.
« Les hébergeurs se voient donc transformés de facto en pseudo « censeurs », puisqu’ils vont devoir décider seuls si tel contenu est licite ou illicite », analyse Murielle Cahen, pour qui il s’agit bien d’un retour en arrière.
« Je m’interroge sur les dérives judiciaires auxquelles peuvent conduire la notion « d’apparence de fait illicites » ou de choses dont on ne peut ignorer le caractère illicite » », s’étonne Alexis Braud. Il est président du conseil d’administration de l’hébergeur Ouvaton, qui fonctionne sous la forme d’une coopérative.
« Un texte liberticide »
Il illustre particulièrement bien le dilemme devant lequel les hébergeurs risquent de se retrouver : « Nous ne souhaitons pas devenir un tribunal des référés devant statuer sur des plaintes non judiciaires qui, au choix, seront suivies par une mise en cause d’Ouvaton pour n’avoir rien fait ou par une mise en cause d’Ouvaton par le webmestre pour avoir fait à tort. »
« Les hébergeurs savent aujourd’hui qu’ils vont devoir affronter une série de procès, qui seuls permettront de comprendre ce que le texte veut dire réellement », confirme de son côté Jean-Christophe Le Toquin, délégué général de l’AFA (Association française des fournisseurs d’accès et de services Internet).
Le projet de loi devrait être examiné par l’Assemblée nationale au cours du mois de février. Pour parvenir à faire entendre sa voix au sein de ce débat qui s’annonce déjà agité, la coopérative Ouvaton envisage de demander à ses membres de rencontrer leurs députés pour leur expliquer les améliorations à apporter.
De son côté, la ligue Odebi, qui regroupe les associations françaises d’utilisateurs de services Internet à haut débit, se dit également prête à l’action pour combattre ce qu’elle qualifie de « texte liberticide ». Particulièrement sensible au statut du webmaster offrant un forum sur son site, elle regrette que le projet de loi reste muet sur ce point. Et se dit consternée par le retour des dispositions des amendements Bloche. Sa revendication est claire : « Nous demandons au gouvernement de revenir immédiatement sur cette disposition qui signifierait l’arrêt de mort du Web français si elle était appliquée ».
[source – ZDNet.fr]