Gillette, le rasoir qui espionne de près

Des puces capables d’émettre des informations vont être incorporées dans 500 millions de rasoirs. Les associations militant pour le respect de la vie privée dénoncent déjà les dérives que cela peut entraîner.

En début de mois, la société Gillette annonçait que 500 millions de rasoirs de sa gamme Match 3 seraient équipés de microcomposants capables d’émettre des données et d’identifier individuellement chaque produit. Les défenseurs de la vie privée en frémissent déjà.

L’enjeu pour les fabricants et les distributeurs est d’optimiser la traçabilité des produits avec une finesse inégalée, depuis la fabrication jusqu’à la vente au consommateur final. Grâce à ces étiquettes électroniques et à une nouvelle génération de présentoirs, la technologie « alertera automatiquement les responsables du magasin quand le stock deviendra insuffisant ou lorsque des produits seront volés, et permettra un réassort automatisé », explique-t-on chez Gillette.

Caspian, une association américaine de consommateurs défendant le respect de la vie privée face aux supermarchés, s’inquiète déjà de la généralisation de cette technologie. L’organisme redoute l’apparition probable « d’un vaste réseau global de récepteurs, placés dans les magasins, dans les aéroports ou sur les routes, et permettant l’identification et le traçage continuels de tous les produits que nous utilisons. »

Des puces de la taille d’un grain de sable

Il faut dire que ces puces, surnommées RFID (Radio Frequency Identifiants), vont beaucoup plus loin que les traditionnels codes à barres que nous connaissons. D’abord, elles sont presque indécelables à l’oeil nu. Ces puces sont de la taille d’un grain de sable (de l’ordre de 100 microns de côté) et n’intègrent pas de batteries. Elles « répondent » à un signal radio, dans lequel elles puisent l’énergie nécessaire à leur propre émission. Les RFID sont des émetteurs-récepteurs, jouant leur rôle de façon omnidirectionnelle à l’intérieur d’un périmètre donné. Enfin, et surtout, les RFID fournissent un identifiant unique à chaque produit (codé sur 64 bits), et non à une gamme de produits.

Certes, la portée d’émission de chaque puce est faible, de 3 à 5 mètres. Mais le fait d’acheter des produits susceptibles d’émettre des informations à son insu soulève des interrogations légitimes… Le vice-président de Gillette, Dick Cantwell, indiquait d’ailleurs – dans une interview réalisée par Cnet.com – que chacun pourra demander lors du passage en caisse que les composants soient désactivés avant de sortir du magasin. Mais des partisans du respect de la vie privée évoquent la nécessité de fabriquer des appareils individuels – qui restent à inventer – permettant à chaque consommateur de désactiver lui-même les RFID des produits qu’il achète…


Le début d’une production de masse

Même si l’expérimentation conduite par Gillette est une première mondiale à cette échelle, la technologie en question existe depuis quelques années. Elle a été mise au point au Centre Auto-ID, un laboratoire installé au sein du MIT (Massachusetts Institute of Technology), et financé par d’importants industriels, parmi lesquels Gillette, Procter & Gamble ou Philip Morris.

Pour le fabricant de rasoirs, les puces seront produites par Alien Technology, qui trouve par le biais de ce contrat juteux un moyen d’initier une production de masse, avec pour conséquence la baisse du coût unitaire des puces. Les experts estiment que, produites à 500 millions d’exemplaires, les RFID reviennent à 25 cents pièce. Mais à partir de 10 milliards d’unités, ce prix pourrait baisser considérablement, et atteindre 5 cents, un prix négligeable pour la plupart des produits dans lesquels ils pourraient être implantés.

La majorité des produits que nous consommons, qu’il s’agisse de rasoirs, de denrées alimentaires, de médicaments ou de vêtements, pourraient donc bien se transformer très prochainement en espions potentiels…

[source – 01net.com]