Le monde Internet chahute la loi sur l’économie numérique

Le texte présenté par Nicole Fontaine le mois dernier arrive à l’Assemblée le 25 février. Les associations suivent de près les modifications en cours et lancent leurs propres propositions.

Le projet de loi sur l’économie numérique n’a pas fini de déchaîner les passions. A quelques jours de l’ouverture du débat parlementaire, la Ligue Odebi, qui s’est très tôt montrée hostile au texte , a fait entendre ses idées d’amendements à Alain Gouriou, membre socialiste de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, et Christian Paul (Commission des lois). Dans le collimateur de l’association, les dispositions sur la responsabilité des intermédiaires techniques et sur le filtrage (article 2 du projet).

Pour Pascal Cohet, représentant de la Ligue Odebi, demander aux prestataires de déconnecter des contenus à caractère illicite dès qu’ils en ont connaissance, sous peine de voir leur responsabilité engagée, revient à une « privatisation de justice » .

« Il suffit pourtant de prendre l’exemple du site Je-boycotte-Danone, insiste Pascal Cohet. L’hébergeur avait déconnecté le site après la réaction de Danone. Mais quand le juge est intervenu, plus tard, il a estimé que le seul problème posé par le site était le détournement de logo. Autrement dit : il suffit de laisser le juge faire son travail correctement. L’intermédiaire n’en n’ayant pas les compétences. Il ne peut prendre que des décisions brutales. »



Inutile de prévoir un filtrage

De plus, nulle part dans le texte ne figure les termes de webmestre, hébergeur, fournisseur d’accès… Ce qui laisse une large latitude d’appréciation pour désigner les responsables, tout le monde étant plus ou moins complices. Y compris, pourquoi pas, EDF, qui fournit l’électricité faisant tourner les serveurs ! « Un prestataire de forum pourrait très bien rentrer dans ce cadre. Ce qui pose le problème de la liberté d’expression sur Internet. »

D’où une première proposition de l’association : définir comme intermédiaire technique tout acteur qui ne serait pas l’auteur direct des contenus incriminés et, du coup, ne faire porter la responsabilité qu’aux auteurs directs.

Quant au filtrage, il est évoqué par l’article 43-12 de l’article 2 : « L’autorité judiciaire peut prescrire en référé […] toutes mesures propres à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication publique en ligne […] ou, à défaut, à cesser d’en permettre l’accès. » Selon Pascal Cohet, il est inutile. Définir qui est responsable et faire « cesser le dommage occasionné » serait suffisant. D’abord parce que le filtrage ne pourra jamais être totalement étanche. Ensuite, parce que cela coûterait très cher. « Ce n’est pas en filtrant qu’on lutte contre la pédophilie, mais par la coopération internationale, en remontant à la source. »

Pour la Ligue Odebi, la disposition sur le filtrage à un inspirateur : l’industrie du disque, qui veut en finir avec le peer-to-peer. « Ce sont ces pressions-là qui expliquent l’irréalisme de cette loi. »

L’association avance un autre argument pour convaincre le législateur, en forme de scénario catastrophe. Si le coût du filtrage doit entraîner la hausse du prix des abonnements, le développement d’Internet risque d’en pâtir, et le Web marchand avec. Si le flou juridique concernant les responsabilités persiste, les hébergeurs vont déserter le pays. Bref, c’est toute l’économie numérique qui se trouverait menacée…


La protection des créateurs menacée ?

Si l’association a rencontré des membres de l’opposition, elle ne désespère pas de trouver une oreille compréhensive de l’autre côté de l’hémicycle. « André Santini [député-maire UDF d’Issy-les-Moulineaux, NDLR], par exemple connaît bien le sujet. Même Jean Dionis du Séjour [rapporteur UDF de la Commission des affaires économiques sur le projet de loi, NDLR] est quelqu’un d’assez ouvert. » Ce dernier, dans son rapport , a notamment proposé d’alléger les responsabilités des hébergeurs, et conteste qu’Internet soit assimilé à de la communication audiovisuelle, comme le dit la loi. La plupart des acteurs d’Internet, commerce électronique compris, avaient déjà pointé du doigt cette confusion des genres.

Au même moment, une autre association, le Clic (Comité de liaison des industries culturelles) – regroupant des sociétés de droits d’artistes de l’audiovisuel, du cinéma, de la musique, de la photographie, des arts graphiques – se dit « hostile au projet de loi sur l’économie numérique » . Mais pour des raisons radicalement opposées.

Dans un communiqué publié mercredi, le Clic réagit aux derniers aménagements de la loi, jugée cette fois trop souple : « En minimisant délibérément le rôle des intermédiaires techniques dans les infractions au droit d’auteur et aux droits voisins, la France placerait le niveau de protection de ses créateurs au dessous de ce qui est prévu, non seulement dans les autres pays européens, mais également aux Etats-Unis, pays pourtant à la pointe du développement de l’économie numérique. »

Le projet de loi arrive le 25 février à l’Assemblée, pour être adopté en juin. Mais hors l’hémicycle, entre l’argument du sinistre économique et celui du désastre culturel, la joute rhétorique a commencé depuis un moment.

[source – 01net.com]