Les analystes de Gartner estiment que la position prise récemment par le Parlement européen va conduire à une « guerre des brevets », si la directive reste en l’état. Washington a de son côté tenté d’influencer le vote des députés jusqu’au dernier moment.
Le Parlement européen a adopté le 24 septembre, en première lecture, la directive sur la «brevetabilité des programmes mis en oeuvre par ordinateur», en réduisant sa portée par une série d’amendements destinés à limiter les manières dont les logiciels peuvent être brevetés.
Selon l’esprit de la directive, un logiciel « en tant que tel » ne peut toujours pas être protégé par un brevet; mais, de surcroît, les développeurs de logiciels n’auraient pas à acquitter de droits de licence pour utiliser une technologie brevetée si cela est motivé «à des fins d’interopérabilité». Sont concernées, par exemple, la création d’un périphérique permettant de lire des fichiers multimédias dont le format est protégé par brevet, ou bien la possibilité pour un programme d’importer et d’exporter des fichiers dans le format propriétaire d’un logiciel concurrent.
Les amendements adoptés cherchent également à empêcher la protection par brevet de « méthodes commerciales », à l’instar du brevet détenu par Amazon.com depuis 2000 sur les achats en « un clic ». Aux Etats-Unis, les méthodes commerciales et les logiciels font régulièrement l’objet de brevets. Cette situation est sévèrement critiquée par les responsables informatiques, les développeurs, les analystes économiques et bien d’autres qui estiment qu’il s’agit d’une gêne à l’innovation et à la concurrence.
La société Gartner met en lumière les problèmes potentiels qui pourraient naître de la nouvelle politique de l’Union européenne (UE), si la directive est promulguée en l’état. «Si la directive amendée devient une loi, les différences notables entre les approches européenne et américaine des brevets pour les logiciels pourraient être à l’origine d’une guerre des brevets», expliquent les analystes de la division « First Take » de Gartner dans une note du 29 septembre.
Pratiquement, la directive ne prendrait effet au plus tôt que fin 2005, car les gouvernements de l’UE ont besoin de ce délai minimum pour intégrer les provisions de la directive dans les lois nationales.
Lobby intensif de Washington avant le vote
Le gouvernement américain s’est également montré inquiet des amendements apportés à la directive. D’après des documents diffusés début septembre par la FFII*, principal collectif européen opposé à un système « à l’américaine », la mission de Washington à Bruxelles a tenté d’influencer les parlementaires. Dans une lettre envoyée aux députés avant le vote, un porte-parole du gouvernement américain mettait l’accent sur trois articles de la directive considérés comme particulièrement «problématiques». Le plus gênant est l’article 6(a), qui précise que les brevets ne doivent pas servir à limiter l’interopérabilité, explique-t-il; tout en recommandant sa suppression.
«Dans l’ensemble, la portée de l’article 6(a) est tellement large qu’il limiterait de façon significative les droits des détenteurs de brevets», indique le porte-parole. Si des brevets sont suspectés d’être utilisés de façon anticoncurrentielle, c’est aux lois sur la concurrence qu’il faut se référer, précise-t-il.
La FFII, qui a milité pour l’adoption de ces amendements, a répondu qu’il serait absurde de se fier aux lois antitrusts pour protéger l’industrie du logiciel, des tentatives des sociétés pour contrôler les standards d’échange des données.
«Le procès entre le gouvernement américain et Microsoft prouve à quel point ces lois ne sont pas efficaces dans ce domaine», explique la fondation dans un communiqué. «Les considérations concurrentielles doivent être intégrées dans une directive sur les brevets qui traite des problèmes spécifiques aux logiciels.»
La directive sur les brevets va maintenant retourner entre les mains de la Commission européenne pour y être révisée, avant un vote par le Parlement et le Conseil des ministres. Après quoi, si elle est votée, elle sera transposée dans les lois nationales des pays membres de l’Union.
Toutefois, la Commission européenne, qui a proposé en février 2002 un projet de directive bien plus favorable à la brevetabilité, a indiqué que les fameux amendements pourraient être «inacceptables»; elle envisagerait même de retirer le texte du circuit parlementaire.
Le chapitre français de la Free Software Foundation (FSF), qui regroupe des militants du « logiciel libre », se méfie des fortes pressions qui vont peser sur les eurodéputés. «Le Conseil des ministres [européens] du 10-11 novembre peut être l’occasion pour les partisans de la brevetabilité logicielle de saboter discrètement, sans la visibilité d’un débat parlementaire public, le travail réalisé par les eurodéputés» écrivent-ils le 6 octobre. «Ne laissons pas manoeuvrer ainsi contre l’expression démocratique et confisquer un débat vital pour l’avenir de l’Europe.»
* FFII: Foundation for a Free Information Infrastructure
[source – zdnet.fr] Matthew Broersma ZDNet UK