Victoire ou défaite ? Les amendements à la directive européenne sur les brevets logiciels votés par les eurodéputés sont considérés par les uns comme une réelle avancée, par les autres comme une porte ouverte à la brevetabilité à l’américaine…
« Pour être brevetables, les inventions en général et les inventions mises en œuvre par ordinateur en particulier doivent être nouvelles, impliquer une activité inventive, et être susceptibles d’application industrielle.
Pour impliquer une activité inventive, les inventions mises en œuvre par ordinateur devraient, de plus, apporter une contribution technique à l’état de la technique, afin de les différencier du simple software. »
Amendement 84. « En conséquence, une innovation qui n’apporte pas de contribution technique à l’état de la technique n’est pas une invention au sens du droit des brevets. »
Amendements 114 et 125. « […] la simple mise en œuvre d’une méthode, par ailleurs non brevetable, sur un appareil tel qu’un ordinateur ne suffit pas, en soi, à justifier l’existence d’une contribution technique… »
Amendement 85. « En outre, un algorithme est, par nature, non technique et ne peut donc constituer une invention technique. »
Amendement 8.
Ces extraits d’amendements issus de la directive sur « la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur » soulignent, parmi d’autres, les différences avec le texte initialement présenté par la députée (PSE) britannique Arlene McCarthy.
Ce texte, qui visait à établir un cadre juridique stable afin d’instaurer « une protection effective et harmonisée des inventions mises en œuvre par ordinateur », accordait la notion de brevetabilité aux logiciels « en tant que tels », comme c’est le cas aux Etats-Unis notamment.
Ainsi, le texte voté par les eurodéputés, mercredi 24 septembre 2003, préserve les logiciels « en tant que tels » de la brevetabilité, comme le souhaitaient nombre d’acteurs de l’industrie informatique.
Une victoire pour, notamment, les défenseurs du logiciel libre ?
Ne pas légaliser les brevets abusifs
« L’écueil était précisément d’éviter de légaliser quelque 30 000 brevets logiciels abusifs, acceptés par l’OEB en contradiction avec sa convention fondatrice », estime sur le site Temps Réel (groupe proche du parti socialiste chargé de réfléchir aux enjeux des nouvelles technologies), Gilles Savary, membre de la Commission de l’Industrie du Parlement européen et initiateur, avec Michel Rocard, des amendements adoptés mercredi.
Il est vrai que l’amendement 95 précise notamment que « le Parlement européen a, à plusieurs reprises, demandé que l’Office européen des brevets révise ses règles de fonctionnement et que cet organisme soit contrôlé publiquement dans l’exercice de ses fonctions ».
Nombre des 30 000 brevets enregistrés par l’OEB l’ont été dans l’esprit américain, dont le fameux « One click » d’Amazon (une méthode de commande en ligne), la barre de progression, le téléchargement, la Corbeille de bureau Mac OS X, etc., sont quelques exemples.
En théorie, et si la directive est définitivement adoptée en l’état, ce genre de brevets, plus proches d’une idée que d’une invention technique, ne pourront pas être appliqués en Europe.
Les programmeurs de logiciels libres et PME pourraient ainsi poursuivre leurs développements sans se sentir en permanence menacés par des risques de procès de la part des détenteurs de brevets.
Si, effectivement, le texte est une réelle avancée dans le sens d’une liberté de programmation, les Verts/ALE voient cette directive comme une porte ouverte au brevet logiciel dans l’Union européenne.
« Ce que le Parlement a adopté aujourd’hui est un succès pour tous ceux qui voulaient empêcher une mauvaise réglementation.
La proposition de la Commission a été améliorée et mieux définie par le Parlement.
Cependant, nous considérons toujours que nous n’avons pas besoin de cette résolution car elle nous conduit dans la mauvaise direction, c’est pourquoi nous avons voté contre », justifie Daniel Cohn-Bendit sur le site des Verts.
Même son de cloche du côté du Parti communiste qui, avec les divers gauche, a voté contre la directive.
« Le vote d’hier est une mauvaise nouvelle pour l’Europe des logiciels, pour l’innovation et pour la créativité », lit-on sur le site du PCF.
« Au cours des semaines précédant le vote, tout le monde a dit qu’il ne voulait pas de brevet sur les logiciels. Pourquoi alors avoir voté massivement pour un projet qui, même amendé, présente le risque d’un cheval de Troie dans l’arsenal juridique pro-brevets ? »
De nouvelles modifications
C’est, en effet, toute la question. Pourquoi se munir d’une directive qui, jusqu’alors, ne semblait pas nécessaire ?
D’autant que le texte risque de connaître de nouvelles modifications puisqu’il doit passer devant la Commission dans le cadre de la procédure de « codécision ».
En cas de rejet, le texte retournerait au Parlement pour modification.
Une fois la directive définitivement adoptée, les états membres disposeront d’environ 18 mois avant sa transposition…
L’affaire des brevets logiciels en Europe est loin d’être close.
[source – vnunet.fr]Christophe Lagane