Le 16 juin dernier, la première audience du procès opposant le portail Bourse des Vols/Bourse des Voyages à Google France s’est tenue au tribunal de grande instance de Nanterre (Hauts-de-Seine).
Au coeur de la polémique : le programme le liens promotionnels AdWords du moteur de recherche, accusé de violer la législation sur les marques. « Bourse des Vols et Bourse des Voyages, deux marques déposées auprès de l’INPI, ont été placées aux enchères sur le programme AdWords de Google, explique Fabrice Dariot, PDG de Bourse des Vols. Nul ne peut vendre ces marques, a fortiori aux enchères et à nos concurrents. »
Faute d’avoir été entendu par Google, le voyagiste a donc choisi la voie de la justice pour régler ce conflit. Trois accusations sont portées à l’encontre du moteur de recherche : « contrefaçons », « publicité mensongère » et « détournement de marque ». Après des audiences préliminaires qui se sont déroulées en début d’année, le procès a véritablement débuté cette semaine avec les plaidoiries des avocats des deux parties. Le voyagiste exige que la commercialisation de ces marques cesse sur le service AdWords de Google et demande des dommages et intérêts d’un montant de 500 000 euros. Le jugement en première instance du TGI de Nanterre est attendu mi-septembre.
Ce procès, instructif à bien des égards, est l’un des premiers contentieux à propos du positionnement publicitaire en France. Courant 2002, Overture, Google et Espotting ont pris position dans l’Hexagone en important le système d’enchères sur les mots-clés que les annonceurs souhaitent réserver. Il en résulte un classement commercial de liens hypertextes qui s’affiche dans des encarts distincts sur les pages de résultats d’un outil de recherche ou d’un portail. Un dispositif qui permet à des sites annonceurs de se distinguer.
Dans le cas spécifique de Bourse des Vols, la marque est composée de deux noms communs (« bourse » et « vols »). Or, à la surprise du détenteur des droits légaux de cette marque, des concurrents n’ont pas hésité à exploiter cette faille en achetant ces mots-clés pour apparaître en premier dans le classement AdWords de Google. Ainsi, en tapant « bourse des vols » sur Google.fr, le service Bourse des Vols apparaît en très bonne position dans le classement de la page des résultats « naturels » de Google mais se voit distancé par deux concurrents sur le classement AdWords (Evasion-Online.com, Airportail.com). Sur l’URL raccoucie (BDV.fr), le service Adwords propose cette fois un lien vers Hotelclubexpress.com.
Constatant le problème, Bourse des Vols signale les faits au printemps 2002. Le voyagiste demande aux trois acteurs du positionnement publicitaire de retirer les enchères liées à ses marques « Bourse des vols » et « Bourse des voyages ». Un exercice auquel se plie volontiers Overture France et Espotting France, mais pas Google France qui a transmis la requête de Bourse des Vols à la direction de sa maison-mère.
Dans le contrat d’utilisation générale du service Adwords de Google, il est en effet stipulé que toute réclamation est à adresser au siège de la société en Californie. « Peu importe, il appartient à Google France de mettre en place les moyens nécessaires pour distinguer les expressions ‘vols’ et ‘bourse des vols’ au sein des résultats Adwords. Espotting et Overture y arrivent très bien. Pourquoi pas Google ? », s’interroge Fabrice Dariot. Le moteur de recherche n’apportant pas de réponse, le PDG de Bourse des Vols a décidé d’attaquer Google en justice.
Au cours de la première audience au tribunal de grande instance de Nanterre, l’avocat de Google France a souligné que cette plainte ne concernait pas directement son client mais sa maison-mère, Google US, qui prend en charge le dossier. L’avocat a également remis en question le fait que les marques « Bourse des vols » et « Bourse des voyages » soient présentées comme des marques distinctives. Pour l’heure donc, les débats se sont davantage penchés sur le droit des marques que sur le dispositif technique spécifique d’AdWords (cf encadré en bas).
Contacté par le JDN, Google (France et US) n’a pas souhaité apporter de commentaires sur ce dossier, en cours d’instruction. Car le sujet est sensible et prendrait même de l’ampleur. Les cas de dénomination sociale de groupes ou de marques commerciales, qui reposent sur des noms communs et qui sont exploitées par des concurrents sur le service AdWords de Google, seraient de plus en plus fréquents.
Ainsi, en tapant « nouvelles frontières » sur Google.fr, c’est le service Internet concurrent Oovols.com qui se hisse en tête du palmarès AdWords. Encore plus troublant : en effectuant une recherche sur le singulier « nouvelle frontière », c’est cette fois… Bourse des Vols qui apparaît en premier lieu sur le dit-programme.
Les marques qui reposent sur des noms communs ne sont pas les seules victimes de cette dérive. Fin 2002, Rentabiliweb, une société lyonnaise spécialisée dans les solutions de publicité en ligne et de micro-paiement Audiotel, a assigné Google et son « concurrent indélicat » (dont le nom n’est pas communiqué) qui avait acheté « rentabiliweb » en mot-clé sur le service AdWords. L’affaire a été portée devant le tribunal de grande instance de Lyon. La première audience devrait intervenir à la rentrée.
Parallèlement à ces actions en justice, des réclamations plus officieuses se multiplient. En mai dernier, le voyagiste Anyway.fr, qui s’estime lui-aussi lésé par le service AdWords, a envoyé une lettre d’avertissement à Google France. Avec – en épée de Damoclès – une menace d’assignation si le moteur de recherche ne prête pas une attention particulière à sa requête.
En arrière-plan, des marques de renommée internationale suivent ces premières actions avec attention. Parmi elles le groupe LVMH, dont la marque phare Louis Vuitton est exploitée pour la promotion d’obscurs distributeurs de produits de luxe. En tapant Louis Vuitton dans Google.fr, le service AdWords propose effectivement une liste de services Internet qui ne correspondent pas tout à fait à l’image traditionnelle du prestigieux malletier du groupe de luxe.
Contacté par le JDN, un représentant juridique du groupe LVMH indique porter une attention « toute particulière » au déroulement du procès Bourse des Voyages-Google France. Le représentant assure qu’aucune procédure juridique émanant directement du groupe de Bernard Arnault n’a été pour l’instant lancée, mais que « des lettres de mise en demeure ont été envoyées ».
« Potentiellement, Google peut se retrouver face à de multiples contentieux juridiques, estime Arnaud Dimeglio, avocat spécialisé dans les NTIC et notamment dans le domaine du positionnement publicitaire. Mais les réponses apportées seront différentes en fonction de la nature des marques. L’avocat estime que l’essentiel des débats portera sur la différence entre positionnement manuel et positionnement automatique. « Pour sa défense, Google a tout intérêt à se présenter comme un simple intermédiaire technique. Dans ce cas, sa responsabilité sera limitée à celle d’un hébergeur. Mais il devra prouver qu’il est intervenu rapidement pour faire cesser un abus qui a été constaté », estime Arnaud Dimeglio. Ce qui, pour l’instant, n’a visiblement pas été le cas.
[source – journaldunet.com] Philippe Guerrier