Linux entre vrais adversaires et faux amis

SCO Group poursuit bille en tête sa croisade pour faire reconnaître ses droits sur Linux et dévoile les prix des licences qu’il compte proposer pour pouvoir utiliser l’OS en toute légalité. Pour certains, SCO n’est cependant pas le pire ennemi de Linux…

Si l’un des principaux attraits de Linux reste sa quasi-gratuité – son prix est de l’ordre de quelques dizaines de dollars, selon les distributions – cet avantage risque fort de disparaître si SCO Group parvient à ses fins. Rappelons que ce dernier affirme d’une part détenir des droits sur le noyau d’Unix et d’autre part que des portions de celui-ci ont été illégalement copiées dans le noyau d’Unix ; du coup, il se sent autorisé à instaurer un système de licence sur le système d’exploitation Open source. Système dont il vient de dévoiler les modalités financières, et ce en plein LinuxWorld, une des principales manifestations dédiées à Linux, et au lendemain du dépôt de la plainte de Red Hat contre lui pour pratiques anticoncurrentielles et diffamatoires.

Le moins que l’on puisse dire est que la note risque d’être salée pour les entreprises : il leur faudra en effet débourser 699 dollars pour utiliser un serveur monoprocesseur sous Linux, un supplément de 749 dollars pour chaque processeur additionnel et 199 dollars pour un poste de travail.
Et encore il s’agit d’un prix d’ami car, après le 15 octobre, le coût de la licence pour un serveur monoprocesseur passera à 1 399 dollars. En outre, l’acquittement de la licence n’ouvre que le droit d’utilisation de Linux mais ne donne pas accès au code source de son noyau et, bien évidemment, ne permet pas de le modifier. Autant dire qu’avec de tels tarifs et de telles conditions d’utilisation, les entreprises ne vont pas se précipiter pour payer. Mais qu’adviendra-t-il si SCO Group réussit à en traîner quelques-unes devant une cour de justice et à faire reconnaître le bien-fondé de ses allégations ? Autant dire que la mort de Linux serait alors programmée, même si l’échéance est lointaine : le début du procès contre IBM est en effet prévu pour le mois d’avril 2005.

Constituer une force de lobbying

A LinuxWorld, personne ne s’affole. Pour Bruce Perens, cofondateur d’Open Source Initiative (OSI), organisme ayant mis au point un label Open source, selon des propos dont Infoworld s’est fait l’écho, la pire menace pour Linux est moins SCO Group ou Microsoft que les grands groupes informatiques qui le soutiennent actuellement comme IBM ou son ancien employeur Hewlett-Packard. « Nous avons des amis puissants et ces amis puissants peuvent nous nuire de bien des façons », a-t-il déclaré. Ceux-ci détiennent en effet un nombre considérable de brevets logiciels qui leur ouvrent une voie juridique pour contrer tout projet Open source n’ayant pas leur agrément. A titre d’exemple, il mentionne les standards mis au point par l’Internet Engineering Task Force (IETF) que nombre de développeurs libres s’empressent d’implémenter. Or ces standards contiennent des technologies protégées par des brevets. Résultat : les développeurs s’exposent à leur insu à des poursuites. Aussi Bruce Perens demande-t-il à ces groupes informatiques soi-disant amis de Linux de s’engager formellement à ne pas poursuivre les développeurs libres, ce que bien sûr ils se garderont de faire. Pour défendre l’avenir du logiciel libre, il convient donc de se battre. L’OSI s’est ainsi allié avec une association de petits éditeurs indépendants américains, la Computer & Communications Industry Association (CCIA), créée il y a trente ans à l’occasion du procès antitrust contre IBM. L’idée est de constituer une force de lobbying auprès des pouvoirs publics américains. Au passage, il a déploré que la Communauté européenne s’achemine, sous la pression des groupes informatiques américains, vers une reconnaissance des brevets logiciels.

Les craintes de Bruce Perens sont-elles justifiées ? Il est certain que ce qui anime IBM ou HP dans leur engagement pro-linux n’est certainement pas une passion désintéressée pour le mouvement Open source mais le fait que Linux leur permette de développer les ventes de serveurs d’entrée de gamme, sans trop, pour le moment, entamer leur activité Unix. Mais si demain ils jugent que Linux et le mouvement Open source leur sont plus nuisibles que profitables, n’auront-ils pas alors la tentation de se lancer, à l’instar de SCO, dans une guerre juridique ? On a évoqué un temps, pour régler le problème SCO, un éventuel rachat par IBM. Au vu de ce qui précède, ce n’est peut-être pas ce qui pourrait arriver de mieux au système d’exploitation libre.

[source – vnunet.fr] Olivier Le Quézourec