Xbox Live, l’arme de Microsoft pour domestiquer l’internet dans les salons

Quelle stratégie se cache derrière le service de jeu en ligne Xbox Live? Son aspect ludique est la partie émergée de l’iceberg. Car Microsoft espère surtout réussir dans l’internet, via la TV, là où MSN a échoué via les PC. Une enquête en trois volets.

Ouvert en France le 14 mars dernier, Xbox Live se présente sous la forme d’un «kit de connexion» pour relier sa console Xbox à l’internet, et affronter d’autres joueurs en réseau. Le tout pour 60 euros la première année, puis un abonnement de 6 dollars mensuel (prix européen pas encore connu).

Pour utiliser le service Xbox Live, il est nécessaire de disposer d’une connexion internet à haut débit (câble ou ADSL). Une seule grosse contre-indication: impossible avec AOL, le numéro un mondial – et grand concurrent de Microsoft devant l’éternel, puisque MSN, le service internet de la maison de Bill Gates, est le second fournisseur d’accès aux États-Unis (en Europe ce n’est qu’un simple portail).

Pour l’instant, seul Nintendo a lancé discrètement, le 7 mars dernier, un modem spécial pour sa console Gamecube afin de jouer en ligne, avec un seul jeu proposé. Sony prépare également un service de jeu sur le net pour sa Playstation2, programmé pour l’été.

La télé, un poste à exploiter à part entière comme le PC

Quant au positionnement de Xbox Live, les concurrents ont déjà leur petite idée: «L’objectif de Microsoft», explique à ZDNet Stéphane Bole, directeur général de Nintendo France, «est désormais de conquérir le salon [du consommateur]». «Et Xbox Live fait partie de cette stratégie. Nous ne sommes quant à nous intéressés que par le jeu, notre système ne vise rien de plus», poursuit-il.

«Il est vrai qu’amener internet dans le salon a pour nous une grande importance», concède de son côté David Dufour, le responsable du marketing Xbox de Microsoft France. «Un des éléments de notre stratégie est de toucher le grand public, au-delà du PC, ce qui ne signifie pas la fin de ce dernier», poursuit le responsable, précisant que la télévision «est désormais un poste à part en entière qu’il faut exploiter». Témoin aussi: les nouvelles fonctions «musicales» de la console Xbox, dévoilées au salon E3 de Los Angeles, du 13 au 16 mai.

Dans cette perspective, l’éditeur compte proposer de nouveaux services pour en développer les usages. À l’occasion du salon E3, de nouveaux services Xbox Live ont été dévoilés, notamment le Xbox Live Alert, qui permettra de fixer des rendez-vous entre joueurs pour des parties en réseau sur son PDA, son téléphone portable ou sur l’outil de messagerie instantanée MSN Messenger. Un autre nouveau service recensera les statistiques de tous les joueurs sur un seul palmarès accessible via sa console. Par ailleurs, un service de « chat » vocal, proposera aux joueurs de discuter en dehors des parties, grâce à leur écouteur et microphone branchés sur la console.

En France, Xbox Live ne permet, pour le moment, que de jouer et de télécharger des « add-on » (nouveaux personnages, armes, plans, etc..). D’ici à la fin de l’année, Microsoft a prévu de lancer certaines des nouveautés présentées à l’E3; l’éditeur promet également d’autres services complémentaires: des forums de discussions thématiques au téléchargement de démos ou de vidéos. Il s’agit encore de «services associés» aux jeux, mais à terme la console Xbox pourra très bien devenir un décodeur pour diffuser des films ou de la musique (au format Windows Media, bien entendu), ou d’acheter certains titres à distance. «Nous étudions différentes pistes (…) de services pour Xbox Live, qui seront complémentaires au jeu», consent à nous dire Dufour.

Sous le jeu, la base de données

Grâce à l’appât du jeu en ligne et au service Live, une Xbox devient un véritable « mouchard » qui permet à Microsoft de collecter des renseignements sur les joueurs et leur système, afin d’exercer un certain contrôle.

Microsoft est ainsi capable via Xbox Live de repérer les machines «clandestines», c’est-à-dire équipées de « mod-chips », ces composants externes bricolés pour transformer la console en PC multimédia superpuissant. La mod-chip est chargée de déverrouiller les systèmes de sécurité que Microsoft a mis en place, en premier lieu pour empêcher la lecture de jeux pirates. Les consoles intégrant ce type de composant ne pourront donc pas accéder au service – du moins, pas avec les mod-chips actuelles…

Reste que tout autre usage peut être détecté, scanné, enregistré… «Nous sommes capables de savoir à quoi jouent les utilisateurs, combien de temps et ce qu’ils téléchargent», explique le Monsieur Xbox de Microsoft France.

Une manière habile de s’offrir une base de données au potentiel marketing colossal. À la mi-avril, un mois après son lancement, Xbox Live avait attiré 350000 inscrits, dont 50000 en Europe. Sachant que lors de la création de son compte Xbox Live, l’utilisateur doit fournir son numéro de carte bancaire et son adresse e-mail.

La charte de «protection de la vie privée [du service] Xbox Live» a déjà tout prévu: «Certaines informations concernant votre utilisation (…) sont automatiquement collectées par Microsoft [comme] les moments où vous vous connectez (…), où vous vous déconnectez (…), les jeux auxquels vous avez joué (…), les produits que vous avez achetés (…) ainsi que vos scores». Informations récoltées afin «de fournir des statistiques générales relatives à l’utilisation de Xbox Live, comme par exemple pour déterminer les jeux et les espaces les plus appréciés.» Double jeu, si l’on ose dire, car quelques lignes plus loin il est clairement indiqué que «ces données peuvent également être utilisées aux fins de fournir des contenus et des publicités personnalisés aux clients dont le comportement indique qu’ils s’intéressent à un domaine particulier». La charte précise enfin: «L’ensemble des informations relatives à l’utilisation des titres de jeux peut être communiqué aux éditeurs de jeux, aux revendeurs et aux fournisseurs de services à haut débit.»

Le modèle économique est limpide: vendre le « hardware », et ensuite utiliser le « software » (les jeux) et l’internet pour encaisser les revenus d’un distributeur de services. Surtout, Microsoft s’adjuge une base de données qui concerne des créations dont il n’est pas du tout le propriétaire. La plupart des éditeurs mondiaux ont accepté les conditions imposées par Microsoft pour qu’une création soit référencée. Conditions gardées encore secrètes, mais assez parlantes pour que le numéro un mondial Electronic Arts refuse de les signer.

[source – ZDNet.fr] Christophe Guillemin ,Laurent Gaubert