La plupart des vendeurs de matériel informatique ont diminué leur nombre d’employés dans l’Hexagone, discrètement le plus souvent. Les réductions d’effectifs liées à la fusion de HP et Compaq s’ajoutent aux départs chez IBM France.
Loin des dramatiques mais retentissants échos qui proviennent des usines Metaleurop ou Daewoo, le silence dans lequel se déroulent les suppressions d’emplois de l’industrie informatique en France deviendrait presque assourdissant. Pourtant, HP perd plus d’un millier de personnes sur 6 000, IBM 1 200 sur 12 000, et Sun une centaine sur un millier.
La sacro-sainte proportion de 10 % de l’effectif, censée rassurer actionnaires et analystes, est plus que respectée. Jusque dans les plus petites unités commerciales de l’Hexagone, d’ailleurs, puisque même Fujitsu Siemens Computers vient de se séparer de 17 de ses 200 salariés (dont 15 volontaires). La communication officielle se fait de plus en plus discrète ou orientée.
Les constructeurs, touchés par l’onde de choc de la crise plusieurs mois après les sociétés de services et les opérateurs télécoms, rechignent à lever le voile sur une réalité qui risquerait d’entacher leur image. Pourtant, eux aussi se séparent de leurs collaborateurs. Et pas toujours dans la plus grande transparence. On observe deux attitudes.
IBM a perdu plus d’un millier de salariés en un an
Chez Sun ou HP, on adopte le « no comment » le plus complet. Chez IBM ou Bull, l’expression même de suppression d’emplois, trop marquée, est occultée. On préfère parler de départs volontaires, de licenciements individuels, de départs en Casa (cessation d’activité de salariés âgés), en retraite, ou encore de démissions.
Ainsi, comme les autres, IBM doit faire face au contexte économique actuel. Mais Eloïse Verde-Delisle, directrice des relations sociales, insiste d’entrée : « Il n’y a eu ni suppression de postes, ni licenciement économique chez IBM France en 2002. Uniquement des ruptures de contrats, des départs, des licenciements pour motifs personnels, quels que soient la business unit ou l’âge du salarié. En outre, les refus de mission ou de formation constituent plus de la moitié des motifs personnels. Sachant que des clauses de mobilité et de mutation géographique figurent dans la plupart de nos contrats. »
Sur la base du bilan social 2002, la filiale française du géant d’Armonk a pourtant perdu plus d’un millier de ses salariés en un an. L’effectif permanent (hors CDD, intérimaires, etc.) a chuté de 12 247 à 11 290 salariés entre le 1 er janvier et le 31 décembre 2002. Et le décompte précis ne fait effectivement état d’aucun licenciement économique. « Mais il s’agit de 295 licenciements, de 290 départs en Casa et de 975 départs en retraite » , précise Eloïse Verde-Delisle.
Selon Michel Perraud, représentant syndical CFDT, « IBM utilise le licenciement individuel à des fins détournées en s’appuyant sur deux motifs principaux : l’insuffisance professionnelle et le refus de mobilité. Mais les licenciés n’étant pas remplacés, il s’agit bien de suppressions de postes. IBM devrait jouer à la régulière et procéder à des licenciements économiques. Un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) se mettrait alors en place, offrant aux salariés la défense et les mesures d’accompagnement auxquelles ils ont droit. »
« L’importance du nombre de départs en retraite s’explique par notre programme de préretraite, élaboré depuis dix ans – 500 autres Casa planifiés pour 2003 , précise, par ailleurs, Eloïse Verde-Delisle. Si l’on ne tient pas compte de ces départs, l’année 2002 est socialement équilibrée, et 2003 devrait bien démarrer. 309 personnes ont été embauchées en CDI en 2002, dont 98 par intégration – notamment à l’occasion de contrats d’infogérance avec reprise de personnel. IBM accueille les 650 salariés de PWC et continue de signer de nombreux contrats d’infogérance. Néanmoins, la conjoncture nous pousse à rester prudents, et nous ne communiquons aucune prévision d’embauches pour cette année. »
Bull, toujours sous perfusion financière de l’Etat
Le total des embauches ne compense cependant pas les 288 démissions et les 295 licenciements. Quant à l’intégration des équipes de PWC Consulting et d’ EADS Matra Datavision (un millier de personnes environ), elle n’est intervenue qu’au 1 er janvier.
En termes d’impact, le site le plus touché est celui de Paris, qui représente plus de 70 % de l’effectif français. Viennent ensuite celui d’Orléans, puis les deux entités méridionales de Montpellier et de La Gaude, dont le nombre d’employés reste globalement constant. Dernière unité de production d’IBM en France, le site M&D (Manufacturing and Development) de Montpellier n’aurait ainsi connu que 10 licenciements en 2002 sur un millier de salariés.
En termes d’activité, c’est le pôle services qui souffre le plus. Et, en entrant dans le détail des chiffres, les non-cadres/employés (-32 %) et agents de maîtrise (-22 %) font particulièrement les frais de ces départs massifs. Par ailleurs, en dépit de la mise en place du dispositif Casa, permettant la mise en dispense d’activité de 1 250 salariés jusqu’en 2005, IBM France n’aurait pas réussi à rééquilibrer sa pyramide des âges. Sur les douze dernières années, la moyenne d’âge serait ainsi restée constante, avoisinant les quarante-deux ans. Enfin, au-delà de l’impact conjoncturel de la crise, Michel Perraud rappelle que l’effectif d’IBM France est en diminution continue depuis 1992, avec une perte de quelque 10 000 emplois…
Bull n’échappe pas au séisme. Désormais sous la direction du nouveau président Pierre Bonnelli, venu « redresser » le groupe – toujours sous perfusion financière de l’Etat -, le constructeur français a annoncé un plan de départs volontaires en 2002. Mais il ne le concrétisera pas encore cette année. Le groupe représentait 12 730 personnes dans le monde en 2001, et il n’en comptait plus que 8 350 l’année suivante.
Ses filiales des services européens et autres activités – CP8 , ACT Manufacturing, etc. – ont été vendues. En 2002, les licenciements auront touché majoritairement la France et l’Italie. Le groupe envisagerait, cependant, d’embaucher entre 150 et 200 personnes en 2003. Il recherche surtout des ingénieurs pour ses unités serveurs et R&D, et minoritairement pour ses prestations d’infogérance.
Mais c’est un autre géant américain du matériel qui a tenu ces derniers mois le devant de la scène hexagonale en termes de suppression d’emplois. La mégafusion entre HP et Compaq ne pouvait, en effet, pas rester sans conséquence. On le savait : le nouveau HP allait supprimer plusieurs centaines de postes en France. Le PSE a effectivement démarré le 6 mars, et il porte sur 1 106 postes sur un total d’environ 6 000 salariés.
L’effort à consentir est réparti à parts égales entre les deux nouvelles entités : HP France pour les activités commerciales et HP Centres de Compétences France, qui regroupe les sites de Grenoble, L’Isle-d’Abeau et Sophia-Antipolis. « A ces suppressions de postes, il convient d’ajouter les 174 emplois liés à la fermeture du site d’Annecy » , rappelle Patrick Nowak, délégué CFE-CGC.
Un plan de sauvegarde pour l’emploi en 3 étapes chez HP
Ce sont les divisions solutions personnelles (PSG), puis solutions d’entreprise (ESG) – avec l’abandon de la gamme Vectra – et services (HPS) qui paient le plus lourd tribut. Sans vrai doublon, la division imagerie et impression (IPG) se voit relativement épargnée. Le PSE se déroule en trois étapes.
L’appel au volontariat et à la préretraite s’est achevé en mars. Au moins 240 salariés auraient opté pour une cessation anticipée d’activité (CAA), destinée aux salariés de plus de cinquante-trois ans, à sept ans de l’âge légal de la retraite. Ceux-ci bénéficieront d’une rente correspondant à environ 93 % de leur salaire net. Quant aux volontaires porteurs d’un projet finalisé ou à finaliser – nouvel emploi (CDI, CDD débouchant sur un CDI), création ou reprise d’entreprise -, ils partiront avec un joli pactole.
A raison d’un peu plus d’un mois et demi de salaire par année d’ancienneté, les indemnités oscillent entre un minimum de 25 000 euros et un plafond de 250 000 euros. « La paix sociale est obtenue avec l’argent , déplore Patrick Nowak. Au détriment de toute vision à long terme. » Ce dernier regrette surtout l’absence de véritables dispositifs de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC) et de validation des acquis de l’expérience (VAE), à même de renforcer l’employabilité des partants dans une période de crise comme celle que nous traversons actuellement.
La notification des licenciements secs interviendra le 9 juin. Entre-temps, un jeu de chaises musicales s’orchestrera pour rapprocher les postes laissés vacants et les postes supprimés. Le cabinet d’outplacement Lee Hecht Harrison devra faciliter le reclassement en proposant, entre autres, à chaque licencié deux offres sur son bassin d’emploi. « Patrick Starck (PDG de HP France – NDLR) a déclaré qu’aucun salarié ne se retrouverait aux Assedic , raconte Patrick Nowak. Nous verrons. »
Effectivement. Nous verrons… La conjoncture est difficile pour tous. Et comme le note ce commercial d’un grand constructeur, « quand un client n’achète pas chez nous, c’est souvent parce que son budget est gelé. Et il est tout aussi gelé lorsqu’il s’agit d’acheter chez nos concurrents ! » La situation difficile des constructeurs est rarement due à une mauvaise gestion. Et le silence ou la langue de bois des directions générales ou des directions des ressources humaines de ces grands constructeurs sont d’autant plus difficiles à expliquer. Que réserve l’avenir à leurs salariés ? Nous verrons…
[source – 01net.com] Xavier Biseul, Clarisse Burger et Emmanuelle Delsol