Selon un spécialiste britannique, un projet de directive européenne sur la propriété intellectuelle donnerait les coudées franches aux grandes sociétés pour imposer leur monopole, au détriment de leurs plus petits concurrents.
Une proposition (lire) de directive de la Commission européenne, destinée à consolider l’arsenal juridique européen contre la contrefaçon, inquiète certains défenseurs des droits civils. Son objectif est de renforcer les droits liés à la propriété intellectuelle, «afin de dissuader les contrefacteurs et les pirates». Ce texte doit être débattu à partir du 11 septembre au Parlement européen.
Il était passé quasiment inaperçu au moment de sa présentation en janvier 2003. Seule l’industrie musicale, par la voix de l’IFPI (Fédération Internationale de l’industrie phonographique), avait fait part de sa consternation devant des mesures qu’elle trouvait trop peu sévères à l’égard des pirates.
Depuis, ces dispositions ont été examinées par la Commission des affaires légales et du marché intérieur du Parlement. Celle-ci a publié un avis préliminaire en mai, qui reprenait une partie des arguments de l’industrie du disque, visant à lui octroyer plus de latitude dans sa chasse aux pirates et à leur imposer des sanctions plus dures.
Opérateurs télécoms et FAI dans la ligne de mire
Mais cette vision est loin d’être partagée par tous. Ross Anderson, professeur d’informatique à l’Université de Cambridge et membre de la FIPR (Foundation for Information Policy Research), un groupe d’experts spécialisés dans les nouvelles technologies, vient de publier des commentaires plutôt alarmistes sur ce projet de directive. Ce texte est similaire au DMCA (Digital Copyright Millenium Act) la loi américaine sur le copyright déjà fortement décriée, mais en pire, écrit Ross Anderson.
Il estime que ce projet risque de rendre les insupportables les conditions économiques pour les opérateurs téléphoniques et les fournisseurs d’accès internet. Car ces derniers pourront désormais être l’objet de «harcèlement légal [de la part des ayants droit]», allant jusqu’à la saisie d’équipement, et s’accompagnant d’un nombre incalculable d’injonctions ainsi que du risque de devoir payer des dommages et intérêts très élevés.
«Ce projet va détruire le compromis instauré par la directive sur le e-commerce de juillet 2000, qui préconisait une responsabilité limitée de ces prestataires techniques par rapport au contenu circulant via leur réseau», s’insurge le professeur. Il s’inquiète également des conséquences qu’auraient certaines dispositions sur le développement de la concurrence, notamment sur le marché des logiciels. En Europe, depuis 17 ans, les éditeurs peuvent pratiquer le reverse engineering, c’est-à-dire décortiquer le code des logiciels de leurs rivaux pour créer des produits concurrents compatibles.
Un renforcement du monopole de Microsoft ?
Or, selon l’analyse de Ross Anderson, le projet de directive remet en cause ce principe, en interdisant le contournement de tout système technique destiné à identifier et protéger une œuvre (qu’il s’agisse d’hologrammes, d’encres spéciales ou encore de technologies de gestion numérique des droits d’auteur). «En conséquence, il sera de plus en plus difficile pour les nouveaux éditeurs de venir concurrencer ceux qui sont déjà établis (tel Microsoft)», prévient-il.
Un argument que la Commission européenne et les parlementaires ne peuvent, en théorie, pas ignorer, puisque eux-mêmes ont enquêté sur les pratiques du géant de Redmond. La Commission vient d’ailleurs de conclure qu’en liant son Media Player à Windows, Microsoft avait «affaibli la concurrence sur la qualité intrinsèque, étouffé l’innovation et réduit, en définitive, le choix offert au consommateur».
Le professeur de Cambridge propose même des exemples extrêmes pour démontrer les effets néfastes des mesures contenues dans le projet de directive. Selon lui, les utilisateurs individuels des logiciels d’échange de fichiers, comme Kazaa, pourraient faire l’objet de poursuites judiciaires, tout comme les joueurs de musique qui font la manche dans la rue, parce qu’ils ne paient aucun droit sur les morceaux qu’ils interprètent.
[source – ZDNet.fr] Estelle Dumout